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Tiré de Docécadran
Perspectives XII - numéro 807
Noir = Jocelyn
Bleu = Michel

Mal-de-mer
par Jocelyn Gagnon et Michel Montreuil
Automne 1990

1er janvier de l'an A

Ce matin, dès mon réveil, je fis ma valise et me dirigeai lentement vers le port où m'attirait un mystérieux sens du devoir. Les rues étaient sombres et silencieuses. À mon arrivée au port, la nuée de gens présents se divisa en deux, formant un couloir humain me permettant de me diriger sans problème vers l'embarcadère. À mon passage, je m'aperçus que tous étaient de dos et gardaient le plus respectueux silence. Sans m'attarder à ce détail, je sautai sur la passerelle qui allait me mener au majestueux galion de marbre qui n'attendait plus que moi pour lever. Lever les voiles pour quitter le port dans le but d'explorer et mener à bien la mission qui m'avait été confiée. Mission que je ne me rappelais plus d'ailleurs…

À bord, j'ai rencontré pour la première fois les autres membres de l'expédition qui n'avaient, eux non plus, aucun souvenir de leur mission mais savaient qu'ils devaient la remplir. Le premier, habillé d'un complet noir de la fin du siècle dernier et d'un haut-de-forme, portant une fine moustache et une barbichette délicatement taillée, s'approcha de moi.

- Lord Hemingway, banquier, se présenta-t-il.

- Mike, musicien, répliquai-je.

- Miss Samantha Parker, astronome, ajouta une jeune femme qui se tenait à côté du Lord. Elle était vêtue d'une étrange combinaison mauve et portait une casquette, arborant les initiales N.R.C.N.A., qui cachait partiellement sa chevelure brune.

Au moment où je croyais être impressionné par le costume hors d'époque de Lord Hemingway et l'allure avant-gardiste de la combinaison de la jeune femme, un chevalier se présenta à moi. Son armure brillait sous le soleil qui était pourtant caché derrière une épaisse couche de nuages. Il était armé d'une lance et d'une épée et portait un bouclier à l'allure légendaire. Il m'avoua se nommer Sir Reiner.

À l'avant du bateau se tenait un soldat romain du nom de Caïus Foglia qui semblait perdu et qui menaçait l'eau de la baie de son pilum. Finalement, un vieil homme, vêtu d'un sarrau blanc, fit son entrée. Il m'apprit que nous devions l'appeler Docteur même s'il refusa de nous avouer il était un docteur de quoi au juste.

La nuit tomba très vite et le galion de marbre blanc prit le large, fendant l'eau noire, guidé par la licorne de verre fixée à la proue. Les lumières de la ville disparurent après un bon moment.

Je viens de me conditionner à écrire mon journal quotidiennement même si, ici, le temps semble être un facteur sans importance, imprécis et illogique. N'ayant aucune idée de la date ni de l'année dans laquelle nous sommes, j'ai cru bon de commencer comme étant le 1er janvier de l'an A..

Ici, personne ne connaît sa mission. Nous sommes venus à la conclusion qu'il nous fallait explorer là où le galion nous mènera en espérant retrouver, un jour, le but de ce voyage.


20 ans

Au lever, il y avait un heptagone violet au-dessus de mon lit: j'avais vingt ans. C'était d'ailleurs la seule façon de le savoir: ma famille n'utilise pas de calendrier depuis des générations. Le fait même que je connaisse le mot vient de mes lectures.

À notre naissance, on nous baptise, et l'Oracle nous dit, même si nous ne savons pas parler, le But. Chaque habitant de pays a un But. À vingt ans, on s'exile vers notre But. Le fait de ne pas utiliser de calendrier évite de s'angoisser à l'anticipation des vingt ans et du But si mystérieux enfoui dans notre passé et notre mémoire. On attend, sans vraiment attendre, l'heptagone violet.

Ce matin était donc le grand jour. J'apportai baluchon, papier, crayon, et je partis pour le port. Un galion de marbre devait m'y attendre. En arrivant au port, j'aperçus dans toute sa splendeur le fabuleux galion… à un kilomètre de la rive! Il était parti sans moi.

Je descendis donc dans l'eau et me mis à nager, non sans tenir mon baluchon à sec d'une main, tout en nageant deux fois plus de l'autre.

Le vent était fort; le galion devait voguer vite. Quand je vis que le soleil allait se coucher, je nageai sur le dos pour me permettre d'écrire ce journal. Voilà où j'en suis.

Le soleil se couche. Je vais dormir, baluchon sur mon ventre, en espérant qu'aucune vague ne troublera mon sommeil et que le vent se calmera, pour que je rattrape le galion demain.

J'espère ainsi tenir le journal du voyage vers mon But, que j'espère aussi découvrir.

Fin de la journée.


20 ans et un jour

Ce matin j'ai repris ma nage vers le galion. J'étais chanceux: le vent s'était apaisé, le bateau de marbre n'irait pas très loin aujourd'hui.

Midi passa au-dessus de ma tête dix minutes après onze heures cinquante. Je le saluai. Je vis bientôt le galion. Mon cœur accéléra de joie; je faillis d'ailleurs m'en noyer.

- Eh! criai-je.

Quelques minutes plus tard, j'étais sec, frais, dispos, et sur le pont. On me présenta un homme sorti du siècle dernier, un certain Lord Hemingway. Une aguichante jeune demoiselle attira immédiatement mon regard pour deux raisons: elle était très jolie et elle était vêtue d'une combinaison une-pièce mauve plutôt hors contexte sur cet océan.

Outre ces drôles d'extrêmes, il y avait un vieil homme un peu perdu qui répétait à qui voulait l'entendre qu'il était Docteur, qu'il avait étudié très loin, etc. J'étais bien content pour lui… pour le moment.

On m'invita à passer à table. Là je connus le reste de l'équipage: un certain Mike, un Caïus Foglia, un Sir Reiner, et une autre demoiselle qui avait raté le galion et était arrivée en aéroglisseur peu de temps avant moi: Thérie, une électricienne.

Pas un ne put s'empêcher de faire une remarque sur mon nom.

- Geausselayn? On dirait un nom d'oiseau!

La nuit tomba et au lit nous allâmes.

Avant de m'endormir, je viens de m'apercevoir d'un détail: tous les passagers ont une occupation différente: Foglia le soldat, le Docteur, Sir Reiner le chevalier (à l'honneur précieux…), Samantha Parker l'astronome, Mike le musicien, Lord Hemingway le banquier, Thérie l'électricienne, et moi, Geausselayn l'homme de lettres.

Décidément, le voyage vers le But s'annonce rempli d'anecdotes.

Fin de la journée.


2 janvier de l'an A

Dès mon réveil, je me suis empressé d'installer mes synthétiseurs et la génératrice leur fournissant l'énergie nécessaire pour… un instant!… je n'ai jamais emporté ces instruments de musique avec moi… et encore moins le piano à queue de 9 pieds qui couvre les deux tiers de ma cabine! Enfin, essayons de s'imaginer que c'est mon cadeau du jour de l'an A.

Je me suis dirigé vers la salle à manger où m'attendait un déjeuner fumant. J'ai demandé aux autres qui je devais remercier pour ce repas et chacun d'eux haussa les épaules. Tous étaient présents sauf Caïus Foglia qui menaçait toujours la mer de son arme, seul sur le pont. …Seul sur le pont?! Mais qui alors dirigeait le bateau? Je ne connaissais rien à la navigation et le reste de mes compagnons semblaient aussi ignorants que moi sur ce sujet. Pourtant, le navire gardait inconsciemment son cap.

À l'heure du lunch, Sir Reiner se précipita dans la salle à manger où le Docteur nous ennuyait tous au sujet de l'effet des baleines sur la dialyse (ou quelque chose comme ça) des marshmallows bleus. Le chevalier nous avertit de la présence d'un homme à quelques mètres du bateau qui, affirma-t-il, ne cessait de crier quelque chose à tue-tête. Nous avons tiré à la courte paille et le Docteur, Lord Hemingway et Samantha, ayant perdu, formèrent le comité de réception. Tant pis pour eux.

Ils ramassèrent quelques minutes plus tard un jeune homme à l'allure pseudo-nympho-intellectuelle qui se présenta fièrement comme étant un certain Geausselayn (je lui ai d'ailleurs demandé de me l'épeler.)

Après une courte discussion, j'ai appris qu'il était (pour employer son expression) homme de lettres. Eh bien! moi qui étais fier de tenir un journal en me disant que j'étais le meilleur pour l'emploi, il a fallu qu'on me flanque un homme de lettres pour me remettre à ma place! Eh bien soit! on verra bien lequel de nos deux journaux sera publié un jour! Mais je ne lui en veux pas d'être là! c'est pas de sa faute et j'ai l'impression d'ailleurs qu'on va bien se bidonner.

Quelques minutes plus tard, un aéroglisseur aborda le galion au grand désespoir de Caïus qui, fidèle à son habitude, menaçait l'engin de son pilum et de son air perplexe. Une jeune femme en descendit et se présenta au groupe en s'excusant de son retard. Elle s'appelait Terry.

Le reste de la journée se passa sans histoire.
Poil aux nageoires.

Résumé de la journée:  Y'en a deux autres qui sont arrivés
Tirelonlalère
À part de t'ça y s'é rien passé
Tirelondondé

(Il est grand temps que j'aille me coucher.)


3 janvier de l'an A

Samantha me réveilla en me criant de venir la rejoindre sur le pont. Devant le bateau, une muraille d'obscurité se dressait à perte de vue. Ma montre indiquait 5:18 (celle de Samantha indiquait 9:30, allez savoir pourquoi!)

Tous étaient sur le pont, sauf Geausselayn que nous avions oublié de réveiller mais qui s'est tout de même joint à nous quelque temps après.

Le Docteur cherchait impatiemment ses lunettes tandis que Caïus voyait en cette noirceur une nouvelle menace. Inconsciemment, nous reculions tous à mesure que le navire s'engouffrait dans l'obscurité, comme si en faisant cela nous risquions d'être épargnés. L'arrière du bateau se fit sentir derrière nous et, ne pouvant plus reculer, nous avons pénétré ce mur de pénombre.

Dès que l'arrière du galion fut aspiré à son tour, nous nous sommes retrouvés plongés dans une noirceur des plus intenses. Au son, nous devinions que Caïus avait regardé regagné sa proue et tentant de fendre l'air avec son pilum. Il semblait se débattre comme un hétérosexuel au pensionnat (c'est la comparaison qui me vint à l'esprit à ce moment-là.)

- Que quelqu'un tente de le calmer, cria Hemingway, nous ne pouvons pas le laisser se débattre comme ça!

- Pourquoi pas? répliqua Geausselayn.

Nous nous pliâmes tous et très unanimement à la philosophie de Geausselayn et laissâmes Caïus à son occupation.

Après d'innombrables heures d'errances totales, j'ai décidé de me coucher et d'inaugurer demain comme étant un autre jour.


20 ans et deux jours

J'ai passé la nuit dernière à jongler avec des idées qui n'arrêtaient pas de retomber sur le plancher de ma cabine quand je tentais de les rattraper. Je ne trouvais pas le sommeil; j'avais beau le chercher partout, sous mon lit, dans les couvertures, derrière un clou, rien à faire (sauf jongler bien entendu.)

Si bien qu'à 4:07, je décidai d'aller faire un tour sur le pont. Ils étaient tous là à regarder un phénomène que je ne comprends pas encore: au loin, il y avait un mur opaque qui faisait vaguement penser à rien. C'était d'une largeur infinie, d'une longueur infinie et cette phrase est finie. Bizarrement, on aurait dit que le crépuscule avait été coupé au couteau et déposé sur la Terre. Nous nous en approchions à une vitesse assez nautique. Quand nous fûmes en train de le traverser (bien que je cherchais et cherche encore le train partout, sur mon lit, à l'extérieur de mes couvertures, devant un clou, rien à faire) nous eûmes tous le même mouvement de recul du mouvement d'inertie d'un corps arrêté en plein élan (j'ai d'ailleurs cherché en vain le cervidé en question.)

Sitôt entré dans la zone d'ombre, je ne vis plus rien.

- Ça y est, me dis-je, je suis aveugle et je ne pourrai plus jamais manger pour le restant de mes jours. De toute façon, je n'aime pas les restants.

Foglia dut avoir la même réaction car je l'entendis marcher vers la proue en se démenant comme pour couper l'obscurité de sa lance.

Cela tapa sur les nerfs du banquier qui s'écria: "Que quelqu'un tente de le calmer! Nous ne pouvons pas le laisser se débattre comme ça!"

Une voix, celle du chevalier je crois, répliqua: "Pourquoi pas?"

Je me dis que lui au moins avait quelque chose à faire dans ce noir, sans tout à fait savoir de qui je parlais.

J'avais faim. Je ne savais pas comment me rendre aux cuisines. Je décidai que je n'avais plus faim.

J'avais envie. Je ne savais pas comment me rendre aux toilettes. Je décidai que j'avais encore envie. Trouvant le bord du bateau, j'urinai dans la mer.

Complètement déboussolé par cette obscurité, j'ai décidé de me rendre dans ma chambre où j'écris présentement dans la noirceur la plus totale.

J'espère que demain, le soleil broiera du noir…

Fin de la journée.


20 ans et trois jours

Ce matin, quand je me suis réveillé, je dormais.

Je suis allé rejoindre Thérie que j'ai d'ailleurs surprise dans son bain avec une grenouille en peluche qu'elle berçait contre sa poitrine.

- Bonjour, dis-je.

- Bonjour, me répondit-elle. Vous pourriez me passer mon peignoir, je vous prie?

- Bien sûr, répondis-je en me dirigeant vers son lavabo.

- Non! Pas mon peigne noir; mon peignoir!

Je me rendis compte à quel point ma méprise était tirée par les cheveux et je lui tendis son peignoir (qui était noir, ce qui me donnait une excuse.)

De par les murs, j'entendais une mélodie qui s'arrêta subitement.

Quelques instants plus tard, je vis Samantha passer devant la cabine, suivie de près par Mike.

- Le déjeuner doit être prêt, suggérai-je.

- Comment, le déjeuner?! Il est 17:53!

Je jetai un coup d'œil à ma montre.

- Vous avez tort, corrigeai-je, il est 4:07.

Nous sortîmes dehors. Il faisait déjà noir! Je n'y comprends plus rien. Les journées ne sont pas assez longues, il doit se passer quelque chose.

Je viens de rencontrer le Docteur qui m'a dit qu'il avait résolu le problème en se couchant AVANT de se lever. Je lui ai avoué que je ne comprenais pas.

D'ailleurs, aujourd'hui, je ne comprends rien. Je m'en vais me coucher.

Fin de la journée trop courte.


4 janvier de l'an A

Ce n'est que ce matin, inspiré par l'obscurité probablement, que me vint un flash (et croyez-moi, un flash dans l'obscurité, ça aveugle en tabarnanne!)

Je me suis souvenu d'une phrase que Geausselayn avait lancé à Foglia la veille: "Attention, Foglia, de ne pas buter à la lanterne en descendant l'escalier."

Mais pourquoi n'utiliserions-nous pas cette lanterne pour chasser l'obscurité même qui nous fait risquer de s'enfarger dedans?

J'entrepris donc de proclamer la bonne nouvelle en compagnie de Samantha.

J'ai parié avec le chevalier qu'il ne se passerait rien demain. J'espère perdre!

Bonne nuit


5 janvier de l'an A

Comme pour me voler mon idée, un soleil bleu a décidé de se lever ce matin.

Nous continuons à naviguer sur ce qui semble être une plaque de métal noir qui se déchire à notre passage. Le banquier manque à l'appel.

À la tombée du jour, une pyramide à 5 faces se dresse à l'horizon. Elle semble construite de verre opaque et luit d'un vert pâle.

À la vue de cette merveille, chacun poussa son expression favorite (j'optai personnellement pour un "Ayoye" significatif.)

J'estime notre arrivée à cette pyramide demain matin.

D'ici là, tentons de dormir.

P.S. Je dois une tournée à Reiner machin.


20 ans et quatre jours

Je me suis encore levé en retard ce matin.

J'entrepris de lire un peu et me dirigeai dans la petite bibliothèque après avoir mangé. Le Docteur était déjà là. Il lisait une thèse doctorale sur la dianétique des marshmallows violets. N'ayant jamais entendu parler de cette discipline, je m'enquis de son utilité. Le Docteur m'expliqua que des recherches étaient faites depuis peu de temps sur la partie des couleurs froides du spectre visible en ce qui concernait la dianétique des marshmallows. Des chercheurs avaient trouvé une réponse au diapason chez les marshmallows bleus et bientôt, on leur faisait subir toutes sortes de tests, dont le plus récent au nitrate de potassium qui avait permis d'émettre des symphonies de Sammartini transposées à la sixte mineure. J'avouai au Docteur que je ne comprenais pas grand-chose à ce domaine. Il me répondit que les chercheurs non plus et que l'on commençait à peine à comprendre la distribution du spectre dans cette nouvelle science et que la thèse qu'il lisait parlait des connaissances de Chrétien de Troyes sur ce domaine en ce qui concernait l'utilité de la fontaine magique dans les romans arthuriens.

Nous parlions ainsi depuis quelques heures quand nous entendîmes quelque agitation venant du pont. Je regardai par le hublot pour m'apercevoir que le soleil était en train de nous quitter pour un autre monde. Nous sortîmes sur le pont.

À travers sa lunette d'approche astronomique, Samantha avait repéré quelque chose à l'horizon. Après quelques minutes, nous vîmes une fantastique pyramide qui émettait une douce lumière verte. Elle avait cinq côtés, ce qui devait signifier quelque chose, peut-être même que c'était une partie de notre But.

Entre autres expressions que nous poussâmes, Mike lança un "Ayoye" auquel le Docteur répondit: "Vous avez mal? Je vous soignerai!" Mike trouva la remarque ridicule et il précisa que son interjection n'était qu'une façon de parler.

Il faisait noir. De voir la pyramide briller ainsi était tout à fait féerique. Je suis resté sur le pont pendant deux heures. Tous les autres étaient allés se coucher. Je vais faire de même sous peu.

Fin de la journée.


20 ans et cinq jours

Peu après le dîner, nous avons jeté l'ancre à quelques dizaines de mètres de la rive, devant la pyramide. C'est Sir Reiner qui a fait le passeur pour nous déposer sur la plage chacun notre tour dans le canot en céramique à deux places. Nous nous sommes séparé les vivres et accessoires et nous sommes dirigés vers la pyramide qui était à un kilomètre de la côte, contrairement à ce que nous pensions. Les dimensions nous ont impressionné décidément beaucoup plus qu'elles ne l'avaient déjà fait à bord du galion. Je ne saurais comparer ses proportions avec quoi que ce soit.

Toujours est-il que nous sommes arrivés à la pyramide vers l'heure du souper. Nous avions perdu beaucoup de temps à sortir du bateau, à se départager le matériel, sans compter que nous avions dîné avant de repartir. Bref, la journée, tout en étant remplie, n'a pratiquement servi à rien. Mais nous sommes tout de même au pied de la pyramide. Nous devrions tenter d'y pénétrer demain. Après que les tentes et tout le matériel eussent été en place, Mike, Samantha et moi sommes partis en expédition autour de la pyramide. Tout autour, le sol est fait d'un sable tout blanc tellement aplati que nous ne laissons même pas de traces. La construction elle-même éclaire plus de près qu'il nous avait semblé de loin. Nous avions apporté de quoi nous éclairer étant donné que le soleil allait se coucher bientôt mais nous n'en avons pas eu besoin, la lueur du bâtiment étant assez forte à proximité pour nous permettre de bien voir, comme dans un bureau éclairé d'un abat-jour.

J'ai pu connaître un peu plus Mike et Samantha lors de cette petite expédition. Mike est un être plutôt excentrique quand on lui parle. Il m'a semblé avoir quelques points de vue semblables aux miens, je crois qu'on va bien s'entendre. Samantha, quant à elle, a des connaissances scientifiques assez étendues et je me risquerai à formuler un cliché en disant que je l'apprécie bien pour son intelligence plutôt que pour son corps. De toute façon, depuis que je suis avec le groupe, j'ai immédiatement été attiré par Thérie sans exactement savoir pourquoi. Elle semble bien me le rendre d'ailleurs.

Tout ça pour dire que nous n'avons pas fait la moitié du tour de la pyramide et que nous sommes revenus parce que nous étions fatigués. De plus, nous n'avons pas trouvé d'entrée sur les deux des cinq côtés que nous avons suivis. Peut-être que demain, nous en saurons plus sur ce mystérieux bâtiment.

Il est temps que je me couche: je cogne des clous et je risque de m'endormir sur mon journal. J'ai hâte à demain. Je sens que nous allons bien nous amuser.

Fin de la journée.


6 janvier de l'an A

Ça y est, elle est là!

J'avais sous-estimé la colossalité (?) de cette pyramide. Nous nous sommes d'ailleurs tous arrêtés devant elle, bouches bées. J'allais me laisser prononcer un autre "Ayoye" significatif mais j'ai immédiatement pensé à la remarque du Docteur à ce sujet et ai finalement décidé de laisser tomber.

La beauté irréelle de la structure m'a convaincu que de la décrire serait un péché, un sacrilège, une immense litote. Je vais donc me retenir.

Nous sommes partis, Geausselayn, Samantha et moi en reconnaissance autour de la pyramide. J'ai socialisé avec Geausselayn, un excentrique, et un maudit bon yâbe (malgré le fait que j'aurais souhaité vivement le voir à l'autre bout du monde et être seul avec Sam.) ((C'est d'ailleurs ce que j'aurais fait si je ne m'étais pas demandé si nous n'étions pas à l'autre bout du monde, justement, je n'ai donc pas osé risquer de perdre un souhait et j'ai payé cette décision par la perte d'une journée que j'aurais peut-être, possiblement, probablement passé avec une fille qui, je me dois de l'avouer, me fait craquer par son petit rire qu'elle accompagne d'un léger mouvement de la tête.)) (((Cette phrase étant terminée, vous pouvez enfin respirer.))) Enfin, demain est un autre jour.

Nous avons réussi à explorer deux facettes de la pyramide et croyez-moi, cé pas mal!

Fin d'une journée inutile (mais ça, c'est pas nouveau.)


7 janvier de l'an A

Nous revoilà partis, dès la première heure, explorer le pentagone en 3-D que nous avions devant nous. L'équipe est composée de Sam, moi-même, Geausselayn et Thérie pour l'occuper. Non, je sais que c'est méchant mais c'était trop tentant (pis de toute façon, je le pensais même pas!)

Vers 7 heures et 20, 8 heures 25, nous sommes tombés sur une gigantesque porte. Nous avons pratiqué une ouverture dans celle-ci jusqu'au moment où nous avons jugé que nous avions assez de pratique. Nous avons donc ouvert la porte d'un commun accord.

Lorsque le noir de l'ouverture nous engouffra, il nous empesta par ce que mon sens olfactif perçut être un parfum quelconque… en gros, ça sentait des odeurs.

Malgré ce petit inconvénient, nous avons pénétré à l'intérieur (pléonasme) de la pyramide. Là nous attendait M.Stéréotype qui referma la porte derrière nous comme dans tout bon roman à petit budget. Nous étions par conséquent enfermés, seuls (à 4 c'est pas si pire mais c'est 2 de trop!) dans une espèce de hall fantomatique. De ce hall, 3 couloirs partaient en des directions différentes. C'est à ce moment précis que Sam me fit remarquer que depuis les 5 dernières minutes, 11 heures s'étaient écoulées.

Geausselayn décida donc à l'unanimité de camper dans le coin, question de passer une bonne nuit. Ma fatigue m'empêcha soudain de refuser.

En ce moment où j'écris, tous dorment et Samantha vient de se coller sur moi en quête de chaleur. Eh bien, je ne m'en plaindrai pas mais j'ai la vague intuition que c'est un stratagème pour que je la prenne dans mes bras parce que entre vous* et moi, on crève ici d'dans.

Elle a dû prendre l'idée sur Thérie qui semble avoir fait de même avec Geausselayn.

Je viens de réaliser qu'étant donné que je suis le seul à lire ce journal, je me vouvoie moi-même! (voir * un peu plus haut)

Voulez-vous bien me dire ce que je fais encore en d'écrire moi là là!


20 ans et sept jours (eh oui!)

Voilà maintenant deux jours que je n'ai pas écrit.

Hier matin, nous nous sommes levés presque tous en même temps. Après avoir pris un bon déjeuner, Foglia a dit que d'une part, il était temps d'essayer d'en finir (ou de commencer, vu notre insuccès d'avant-hier avec la pyramide) et que d'autre part, il fallait que quelques-uns restent à surveiller le matériel. Je me demande d'ailleurs s'il a dit ça pour éviter d'affronter l'inconnu ou s'il le pensait réellement.

Bref, nous avons débattu quelque temps sur le sujet. Il a été décidé que Foglia resterait avec le matériel et que, pour ne pas le laisser seul (quoiqu'il aurait bien pu, ce toqué, j'en ai rien à fiche de ce faux militaire sorti d'un récit d'Astérix le Gaulois [aussi idiot d'ailleurs]), Sir Reiner l'accompagnerait (un chevalier et un soldat, je n'ose même pas penser à l'ambiance qu'il y a depuis qu'on est partis) ainsi que le Docteur (lui, il va s'ennuyer comme il ne l'a jamais fait, sûr!) et le banquier (qui ne sert à rien depuis le début de notre quête, alors tant qu'à ne servir à rien, autant ne servir à rien pour rien, n'est-ce pas?)

Rebref, il restait donc Mike, Samantha, Thérie et moi-même. La décision semblait plaire à tous (et à moi tout particulièrement.)

Nous sommes partis en emportant le strict minimum, ce qui serait trop long à décrire. Nous nous sommes dits qu'il serait bon de marcher dans l'autre direction pour trouver la porte, s'il y en avait une, puisqu'elle ne se trouvait certainement pas sur les deux côtés que nous avions exploré la veille. Comble de l'inutilité, la porte se trouvait sur le troisième côté, soit pratiquement à l'opposé d'où nous avons installé nos tentes, comme lorsque ce que l'on cherche est dans la dernière de nos poches. La porte demanda quelques minutes à s'ouvrir et nous lui répondirent que nous étions d'accord.

M'approchant de Thérie, je lui ai chuchoté: «Je te parie un clin d'œil que la porte va se refermer derrière nous.»

- Pari tenu, me dit-elle.

Quelques instants plus tard, j'eus droit à un clin d'œil de Thérie, contente d'avoir perdue et magnifiquement belle en cet instant de défaite où elle affichait un sourire splendide.

Nous étions donc de l'autre côté de la pyramide, à l'intérieur. Samantha fit remarquer, après avoir regardé sa montre, que la journée était finie. Je jetai un coup d'œil à ma montre à mon tour: il était 4:07. J'étais fatigué et je décidai de camper dans cette pièce. Les autres firent de même, Thérie dans mes bras, et je dormis presque aussitôt. C'est d'ailleurs pour cela que je n'ai pas écrit hier. (Fin de la journée d'hier)

Ce matin, définitivement plus en forme, je me suis réveillé avant les autres. Samantha et Mike avaient, semblait-il, dormi ensemble eux aussi. Moins de risques de discorde dans le groupe, me suis-je dit.

J'attendis patiemment que tous se réveillent. Nous nous levâmes et grignotâmes brièvement.

Puis, nous sommes partis en empruntant un des trois couloirs qui s'ouvraient sur la salle où nous avions dormi. Le couloir gauche.

Je ne peux me souvenir du chemin exact, mais je peux dire qu'il est très déroutant. Les couloirs empruntent des tas de directions, à droite, à gauche, escaliers montants et descendants. Difficile de se guider.

Après deux heures d'errance à travers des corridors qui se divisent, se multiplient et s'additionnent, nous nous sommes enfin soustraits à ce labyrinthe en échouant dans une immense salle.

Au centre, il n'y avait rien. C'était particulièrement remarquable. La salle était pentagonale. Les murs doivent faire une trentaine de mètre chacun. Sur deux de ceux-ci, il n'y a que des livres, de bas en haut, soit à quinze mètres du plancher. Ma première réaction a été de regarder quelques titres. J'étais fasciné; il y a là les vingt-trois tomes de l'Atruphito de Flamus Deako! Depuis le temps que je cherchais la réponse à l'intrigue du dix-septième tome. Je l'ai trouvée dans le dix-neuvième: c'est la monade. C'était si simple! Du coup, je me suis senti grandi. J'en suis encore tout guilleret!

Passé cet excès de littérature, les autres me firent remarquer que les autres murs n'étaient pas non plus dépourvus d'intérêt.

En effet, sur l'un d'eux, un texte avait été gravé en langage undrazique. Mike et moi connaissons bien ce dialecte, Mike parce qu'un de ses compositeurs préférés a écrit une théorie et étude sur des gammes disparues aujourd'hui, le tout rédigé en langage undrazique, et moi pour avoir décortiqué la tétralogie undrazique de Deako. Le texte est écrit en vingt-six colonnes sur le mur. Nous avons utilisé deux des cinq escabeaux disponibles et avons commencé à traduire en nous partageant les colonnes.

Je retranscris ici ce que j'ai pu traduire depuis que j'ai commencé:

ON ANNONÇA À TÉFANE, GÉNÉRAL EN CHEF DE L'ARMÉE PALANIENNE, QUE LES ENFANTS DE GONJI SE PRÉPARAIENT AU COMBAT: ILS AVAIENT, DISAIT-ON, FERMÉ LES PASSES DE LA MONTAGNE, FORTIFIÉ LES HAUTES CÎMES ET, DANS LES PLAINES, DISPOSÉ DES OBSTACLES. IL ENTRA ALORS DANS UNE VIOLENTE COLÈRE, CONVOQUA TOUS LES PRINCES DE LIKID, TOUS LES GÉNÉRAUX D'ÉLEK, TOUS LES SATRAPES DU LITTORAL. «HOMMES DU PEUDÉ, LEUR DIT-IL, RENSEIGNEZ-MOI: QUEL EST CE PEUPLE QUI DEMEURE DANS LA RÉGION MONTAGNEUSE? QUELLES SONT LES VILLES QU'IL HABITE? QUELLE EST L'IMPORTANCE DE SON ARMÉE? EN QUOI RÉSIDENT SA PUISSANCE ET SA FORCE? QUEL EST LE ROI QUI EST À SA TÊTE ET DIRIGE SON ARMÉE? POURQUOI A-T-IL DÉDAIGNÉ DE VENIR AU-DEVANT DE MOI, CONTRAIREMENT À CE QU'ONT FAIT TOUS LES HABITANTS DE LA RÉGION OCCIDENTALE?»
ÉMIN, CHEF DE TOUS LES ÉLÉKITES, LUI RÉPONDIT: «QUE MONSEIGNEUR ÉCOUTE, JE T'EN PRIE, LES PAROLES PRONONCÉES PAR TON SERVITEUR.»

J'ai lu quelques lignes de la traduction de Mike. Il y est question de monade, ce qui expliquerait la présence de l'Atruphito dans cette salle.

Pendant que nous traduisions, les femmes sont allées explorer les environs et ont rapporté un polyèdre violet. Nous avons tenté de comprendre son utilité et avons abandonné au bout de quelques expériences infructueuses, car le sommeil nous gagnait. Mike, Thérie et moi avons écrit chacun nos observations sur la pyramide avant d'aller nous coucher. Je ne sais pas si je vais bien dormir cette nuit.

Fin de la journée.

P.S. Je viens de me relever. Ça fait trois heures que je ne dors pas, à cause de l'Atruphito, des écrits undraziques, du polyèdre. Peut-être est-ce que la pyramide elle-même y est pour quelque chose. J'ai pris le polyèdre dans mes mains et j'ai projeté son ombre sur le mur: lorsqu'on lui donne le bon angle, on voit l'ombre d'un heptagone parfait, comme la forme au-dessus de mon lit la semaine dernière! Je ne veux pas réveiller les autres. Je leur en parlerai demain. Je vais essayer d'aller dormir. J'espère que je vais pouvoir. J'ai le cerveau plein. Et l'estomac vide.


8 janvier de l'an A

MOI, BORTAN, CHEF SPIRITUEL DES ENFANTS DE GONJI, DÉCRÈTE LA LOI ANTI-KOREG VALIDE À PARTIR DU 10 DE LORMIR. CES INFIDÈLES AU POUVOIR SOMBRE NE MÉRITENT QUE LA GUERRE ET CE N'EST SÛREMENT PAS LEUR PIÈTRE ROI QUI POURRA ASSIÉGER LA GRAND PYRAMIDE. ILS NE SAVENT PAS QUE NOUS AVONS AVEC NOUS LA SAGESSE DE LA MONADE POUR NOUS PROTÉGER. LES PRÉPARATIFS PRENNENT FIN ET LE CALME D'AVANT-GUERRE N'EST POINT AUSSI CHER À MES YEUX QU'À MA PREMIÈRE AVENTURE. LES FOMPEGX PLANANT AU-DESSUS DE NOUS SONT LES SEULS À BRISER CE CALME. LE SILENCE AVANT LA CANONNADE, C'EST IMPRESSIONNANT!

Lorsque je me suis réveillé «mentalement», les autres m'apprirent que nous marchions depuis déjà 2 heures. Peu après, nous avons débouché dans une salle pentagonale dans laquelle d'immenses bibliothèques servaient de mur.

J'y ai trouvé les manuscrits originaux du «Tome des harmonies Porguènes de Joln F. Gœuthes» ainsi que les 8 autres livres du même auteur. Geausselayn semble avoir, lui aussi, trouvé une perle rare.

Thérie attira notre attention sur un mur de runes undraziques. J'étais surpris de voir que Geausselayn connaissait aussi cette langue. J'ai cependant regretté ma question lorsque ce dernier m'expliqua en long et en large la raison du pourquoi il se débrouillait si bien en undrazique. Une explication qui aurait sûrement été des plus intéressantes dans toute autre circonstance.

J'ai écrit ma traduction du 1er texte sur la page précédente. J'ai omis la dernière phrase qui n'était pas traduisible et qui me laisse encore perplexe d'ailleurs!

Pendant ce temps, les filles ont déniché un engin que Geausselayn, Thérie et Sam qualifièrent de polyèdre. Ha bon!

Sam semble avoir préféré la compagnie du polyèdre ce soir.


? 9 janvier de l'an A ?

Est-ce matin ou un rêve? Fouille-moé!

  • Nous nous sommes levés, je crois, à la première heure ce matin.
  • Nous étions tous sur des dalles respectives d'un échiquier en 3-D dont chaque plaque était à une hauteur propre.
  • J'étais sur une dalle noire.
  • Sam était sur une case blanche à à peu près 2 mètres au-dessus de moi.
  • J'entendais la voix de Thérie appeler Geausselayn mais je ne les voyais pas.
  • L'image du polyèdre violet était imprégnée dans ma tête.
  • J'ai rejoint Sam.
  • Notre dalle tomba à une vitesse vertigineuse dans un vide profond ben creux suivi de près par la dalle des deux autres.
  • Notre véhicule s'arrêta net.
  • Une peur inconnue m'envahit.
  • Geausselayn me regarda soudainement comme si je venais de l'insulter et sauta sur moi.
  • Au premier coup de sa part, l'image du polyèdre revint au premier plan de mes pensées.
  • Au deuxième, le mot «monade» refit surface.
  • Au troisième, j'ai décidé que ça suffisait!
  • Nous étions assis à une table de banquet sur laquelle deux chandeliers tétraédriques attirèrent mon attention.
  • Sommes-nous au pays de la géométrie?
  • Un homme est assis au bout de la table.
  • Il nous appelle tous un par un par notre nom et par celui de notre voisin de gauche.
  • C'est avec ce principe que nous avons su qu'il s'appelait Tolanne car il m'appela Mike Tolanne (et j'étais à sa droite).
  • Mon assiette ne bougea pas.
  • La sienne non plus.
  • Thérie se leva soudainement et sortit de la «pièce».
  • Geausselayn fit de même.
  • Sam et moi avons plié à la majorité.
  • Un écran se dressait devant nous.
  • Des êtres difformes dansaient au son d'une musique utilisant une gamme que je juge être formée de 1/8e de ton.
  • Le tout me fit étrangement penser à un film de cowboys. Effectivement, deux camps semblaient se battre jusqu'à l'arrivée d'un troisième (la cavalerie).
  • Le sommeil me gagne.
  • J'ai hâte de voir si demain sera aujourd'hui ou si demain sera effectivement le lendemain de la dernière fois où je me suis couché.

20 ans et huit jours

La nuit dernière semble avoir été longue car j'ai rarement aussi bien dormi. J'ai remarqué un détail en me réveillant: même si je croyais être quelque part dans les profondeurs de la pyramide, un rayon de soleil entrait dans la salle. Le hasard (?) a voulu qu'il tombe sur le polyèdre et qu'il soit réfléchi sur le visage de Mike qui dormait encore à mon réveil. Je ne sais quel effet ça a pu avoir sur son esprit, mais il a eu l'air drogué toute la journée.

Au lieu de continuer à déchiffrer les inscriptions undraziques, puisque Mike semblait être incapable de se concentrer, nous avons poursuivi notre exploration de la pyramide. Un escalier très abrupt se trouvait non loin de la sortie de notre salle. Nous le descendîmes. Mike semblait avoir de la difficulté à voir les marches, et la variation de pression atmosphérique d'un étage à l'autre lui fit dire des choses tout à fait incompréhensibles. Je lui pris les épaules et le secouai un peu; il se tut.

Nous sommes arrivés dans une salle au centre de laquelle se trouvait une longue table. Au bout de la salle se dressait une statue flanquée de deux flambeaux. Visiblement, elle servait à un culte quelconque et je me suis dit qu'il devait y avoir une corrélation à faire avec les inscriptions de notre salle.

Mike s'assit à table et semblait plus perdu que jamais; Thérie me dit qu'il valait peut-être mieux qu'il se couche avant qu'il ne se passe quelque chose. J'étais d'accord. Après en avoir parlé à Samantha, Thérie m'expliqua que nous pouvions continuer à explorer la pyramide tandis que Samantha irait dans notre salle avec Mike.

Nous sortîmes de la pièce.

Après avoir parcouru plusieurs couloirs sans utilité, Thérie m'avoua son inquiétude pour Mike et Samantha. Et si Mike en venait à lui faire mal inconsciemment? Il était peut-être préférable de retourner à notre «bibliothèque».

Nous retournâmes donc dans la salle où nous avions couché. Mike dormait déjà. Samantha le surveillait. Nous nous sommes étendus.

Thérie et Samantha dorment maintenant.

Je crois que je vais faire comme eux.

Fin de la journée.


20 ans et neuf jours

Aujourd'hui, Mike a été somnolent presque toute la journée. Parfois, il se réveillait et fixait le vide en ouvrant la bouche comme s'il allait parler, mais aucun son n'en sortait. Nous sommes restés dans la bibliothèque toute la journée pour veiller sur lui. J'ai eu souvent envie d'aller chercher les autres dehors. Je ne sais pourquoi je ne l'ai pas fait.

Tous ces événements m'enlèvent le goût de continuer les traductions des textes undraziques, de le faire seul surtout. Avec Mike, j'avais une motivation supplémentaire pour m'y mettre. S'il peut guérir…

Je suis resté presque toute la journée à rêvasser. Faute de sujet de concentration, je crois que je suis en train de tomber amoureux de Thérie. Et son regard croise le mien d'une drôle de façon parfois… mais je dois me faire des idées; manque d'oxygène sans doute…

Ce soir, je me suis dit qu'il était possible que le «rayon de soleil» qui avait frappé Mike hier le ramène à son état normal. J'ai demandé à Samantha si elle pouvait calculer l'endroit exact où placer le polyèdre pour qu'un nouveau rayon le frappe demain matin. On ne perd rien à essayer.

Le polyèdre est placé en fonction de la position de Mike. S'il ne bouge pas trop durant son sommeil, il devrait recevoir les premiers rayons de soleil sur la tête, comme hier. Croisons les doigts et allons faire dodo.

Fin de la journée.


? 10 janvier de l'an A ?

  • Où suis-je?
  • Un chien regarde dans un gramophone
  • Je suis là.
  • Je suis las.
  • Je suis qui?
  • Je ne sais plus.
  • Je ne sais plus qui suivre.
  • Mais je suis.
  • Un chien regarde dans un gramophone.
  • Je sais.
  • Un polyèdre violet se heurte aux parois de ma tête.
  • Une tour invisible se dresse dans mon imagination.
  • Je dois les avertir.
  • Je dois les convertir.
  • Sam est là.
  • Un chien regarde dans un gramophone.
  • Un polyèdre violet.
  • Je suis un aquarium.
  • Mes poissons sont mon sang qui coule dans les veines de mon filtreur.
  • Geausselayn est là aussi.
  • Qu'arrive-t-il de mon but?
  • Compte-t-il?
  • Un chien regarde dans un gramophone.
  • Encore lui!
  • Thérie est avec eux.
  • Un polyèdre violet.
  • C'est lui que je suis.
  • Je veux bien le suivre.
  • Mais je ne veux pas l'être.
  • Donc je le suis.
  • Le chien est parti.
  • Le polyèdre reste.
  • Moi je ne sais pas.
  • Il faut dire que je ne suis plus depuis un bon bout de temps.
  • Dommage.
  • Le polyèdre revient.
  • Mais pourtant c'est le chien qui est parti.
  • Il revient quand même!
  • Ne me touche pas.
  • NOOON!

11 janvier de l'an A (confirmé)

En ouvrant les yeux, je me suis immédiatement demandé pourquoi Samantha était au beau milieu d'être en train d'avoir l'air de s'inquiéter pour moi. J'ai réalisé un peu plus tard l'ampleur des deux jours d'éternité que je venais de passer.

D'après l'estimation de mes trois confrères, je suis «guéri». Personnellement, je n'en suis pas tout à fait sûr. Et guéri de quoi au juste? Mais le plus important est que le sourire semble être revenu sur le visage de Sam.

Nous avons passé la journée à déchiffrer le reste des runes (Geausselayn semble avoir chômé depuis 2 jours).

Je suis tombé à la renverse en… tombant, justement, sur un mur où était placée une partition musicale undrazique (avez-vous déjà essayé de tomber sur un mur, vous?)

Les filles sont parties explorer le second couloir.

J'ai transcrit ici ce qui me semblait être le thème de l'œuvre musicale. Je n'ai cependant pas l'instrument nécessaire pour interpréter cette pièce, soit l'orgue de Gngoc.

(extrait de Ode pour Téfane)

Extrait de «Ode pour Téfane»

Geausselayn semble avoir fait des découvertes aussi intéressantes que moi.

C'est l'heure du coucher et les filles ne sont pas revenues. Je voulais partir à leur recherche mais Geausselayn me fit remarquer qu'après cette journée de déchiffrage, nous n'étions pas mentalement en état de risquer de se perdre. C'est vrai que l'undrazique a un effet somnolent sur ses lecteurs.

N'empêche que c'est à mon tour de m'inquiéter de Sam. D'autant plus qu'elles avaient le polyèdre avec elles.


20 ans et dix jours

Ça a fonctionné! Mike est sorti de sa léthargie. Nous avons passé la journée à traduire les inscriptions. Je les ai regroupés dans un document à part.

Sam et Thérie ont entrepris d'explorer la pyramide. Elles ne sont pas encore revenues.

Vers la fin de ma traduction, cette phrase m'a laissé perplexe:

ET DANS L'EMBOUCHURE DE LA CINQUIÈME RIVIÈRE, UN GRAND ÉCLAT JAILLIT DU SOL. TÉFANE SORTIT DES NUES ET ANNONÇA MYSTÉRIEUSEMENT: «QUICONQUE DÉTERRERA LA CLÉ HEPTAGONALE, CELUI-LÀ SEUL SERA DIGNE DE LA MONADE ET LES GUIDERA VERS LA LUMIÈRE. CAR C'EST DE LA LUMIÈRE QUE VIENDRA LA LUMIÈRE, ET ALORS SEULEMENT RESPLENDIRONT TOUS LES SECRETS DU MONDE.»

Une clé heptagonale. Je me demande si c'est une clé au sens littéral.

C'est l'heure de se coucher; la journée a été longue.

Les filles ne sont pas revenues. J'espère qu'il ne leur est rien arrivé. J'irais bien à leur recherche, mais je ne veux pas risquer de me perdre à cette heure, et j'ai la tête qui bourdonne d'undrazique. Pourvu qu'elles reviennent.

Mike vient de me rappeler qu'elles sont parties avec le polyèdre. J'ai un curieux pressentiment… Allons dormir, si nous le pouvons.

Fin de la journée


20 ans et onze jours

En nous levant ce matin, nous nous sommes bien aperçus que les filles n'étaient pas revenues. D'un commun accord, nous avons entrepris d'aller à leur recherche.

Pendant tout l'avant-midi, nous avons erré dans les couloirs sans rien trouver (je me demande comment nous allons revenir à la bibliothèque après tout ça.)

Vers treize heures, nous avons entendu un bruit de chute d'eau. Intrigués, nous avons cherché d'où cela venait.

Je suis entré dans une salle très sombre. trop sombre même. Je suis tombé dans une glissoire et suis arrivé plusieurs mètres plus bas où ma tête a heurté je ne sais quoi.

Je ne sais combien de temps je suis resté inconscient. Lorsque je me suis réveillé, Mike n'était pas près de moi. Cela m'a surpris car j'aurais osé croire qu'il aurait tenté de me faire revenir à moi.

Je vis autour de moi une impressionnante forêt tropicale ainsi qu'une large rivière, d'où le bruit de chute.

Comment puis-je encore être dans la pyramide?

J'ai suivi un petit chemin qui longeait la rivière. La forêt était éclairée sans que je puisse dire d'où venait la lumière. Après quelques minutes, j'ai rencontré Mike qui venait à ma rencontre. Il me raconta comment il m'avait suivi dans la glissoire et sa surprise en ne me voyant pas a son arrivée en bas. Il me cherchait depuis.

Durant la conversation, il tenta de me taper sur l'épaule, mais sa main me travers; nous ne pouvons même pas nous toucher! Quel est ce nouveau mystère?

En explorant la forêt, nous avons trouvé un abri de branchages. Aucune trace des filles. Après tout, il se peut qu'elles ne soient pas dans la forêt et qu'elles n'aient pas pénétré dans la pièce à la glissoire.

Nous avons mangé des fruits inconnus qui semblent toutefois comestibles puisque nous sommes toujours là. Puis, après avoir cherché un abri (pour être franc, je cherchais la glissoire, mais je ne la retrouve plus) nous avons opté pour la pleine lune; avec l'abri de branchages, on ne sait jamais…

J'ai confié à Mike que je commençais à m'inquiéter autant pour nous que pour les filles.

Allons, une petite pensée avant de nous coucher: que deviennent les autres à l'extérieur de la pyramide?

Et une autre, tiens: en savent-ils plus que nous sur le But au moment où j'écris ces lignes?

Ça ne coûte rien. Ce ne sont que des mots, mais, bon, si je me pose trop de question, je risque de devenir fou.

À demain.

Fin de journée.


12 janvier de l'an A

Les filles ne sont toujours pas là.

J'ai proposé de partir à leur recherche en affirmant à Geausselayn que je ne m'inquiétais même pas pour elles étant donné qu'elles sont assez intelligentes pour…

Hé que je mens mal…

(Je viens de relire ce que j'ai écrit et je voudrais préciser que je mentais sur mon inquiétude et non sur leur intelligence.)

Après un avant-midi de recherche inutile (nous nous sommes basés sur la montre de Geausselayn pour avoir un indice commun de temps), nous avons débouché sur une salle où l'obscurité semble avoir dérobé le sol sous mes pieds. En dessous du sol en question m'attendait une glissoire.

Je me suis payé une bonne «chute libre» et je me suis ramassé dans un banc de neige. Geausselayn n'était pas là. J'étais dans une plaine, ou plutôt un désert de glace. Je n'avais pas froid. Les nuages, très bas, obstruaient entièrement le ciel. Ceux-ci formaient un mur translucide au-dessus de ma tête. Une lumière grise le traversait.

Des traces brisaient l'uniformité du sol enneigé. J'ai reconnu après un moment la forme des semelles de Geausselayn. J'ai suivi ses traces jusqu'au moment où je l'ai rencontré venant à ma rencontre.

Il ne semblait pas non plus avoir froid mais lorsque je lui en fis la remarque, il me regarda d'un drôle d'air.

Il avait de la neige sur l'épaule, et lorsque j'ai voulu la lui enlever, ma main est passée au travers de son épaule. Je suis resté bouche bée pendant une bonne demi-heure (selon la montre de Geausselayn.)

Nous sommes tombés sur un igloo abandonné et vide. De la viande séchée s'y trouvait. Pas mauvais.

Geausselayn semblait réticent à dormir dans l'igloo. Nous avons donc opté pour coucher à la belle étoile (quelles étoiles?)

Je dormirais mieux si ce «faux soleil» pouvait avoir la brillante idée d'aller se coucher.

Je ne sais pas si c'est l'ambiance qui nous fait cet effet, mais nous n'avons pratiquement pas parlé aujourd'hui sauf pour se remémorer la perte des filles.


13 janvier de l'an A

À mon réveil, quelle ne fut pas ma surprise de m'apercevoir que j'avais finalement dormi.

Geausselayn s'est ensuite mis en marche dans une direction qui semblait des plus évidentes à son regard.

Nous n'avons pas dit un mot de toute la matinée.

Vers 13 heures H.N.G. (Heure Normale de Geausselayn) une silhouette se découpa à l'horizon.

C'était une otarie.

Au grand étonnement de mon confrère et moi-même, l'animal en question répondit à mon geste de salut par un «Que faites-vous là les gars?»

- Exactement, répondis-je.

- Pardon!! répliquèrent l'otarie et Geausselayn en même temps.

- C'est ce que nous sommes venus chercher, précisai-je.

- Hé bien, je ne peux pas vous en empêcher, affirma l'otarie de sa voix nasillarde.

- Où sommes-nous? osai-je.

- Exactement! répondit-elle avant de disparaître dans son trou d'eau glacée en riant.

Nous avons repris la route sans dire mot et en tentant vainement de ne pas se poser de questions.

Geausselayn demeure impalpable.

Après un bon 6 heures (H.N.G.) de marche, une titanesque porte s'éleva subitement devant nos yeux. Seulement une porte. Nous pouvions en faire le tour (ce que nous avons fait d'ailleurs.)

L'engin qui semblait servir de poignée était hors d'atteinte.

Contrairement à la veille, le soleil nous déserta très tôt, nous plongeant presque instantanément dans l'obscurité.

La porte attendra à demain.

Avec ce que nous avons vu jusqu'à maintenant, ce n'est pas une porte qui éveillera ma curiosité au point de ne pas dormir.

Ce soir, les étoiles sont noires.


20 ans et douze jours

Nous nous sommes remis en marche très tôt ce matin. Nous préférions commencer par retrouver notre chemin vers la bibliothèque.

Toute la matinée s'est déroulée inutilement. Nous avons cherché je-ne-sais-quoi je-ne-sais-où pendant quelques heures et n'avons rien trouvé.

Vers le début de l'après-midi, nous nous étions rapprochés de la rivière et une loutre est sortie sur le bord. Quelle ne fut pas ma surprise de l'entendre nous adresser la parole.

- Vous cherchez quelque chose ou vous me voyez mal?

- Exactement, répondit Mike.

- Pardon!! répondis-je simultanément avec la loutre.

- En fait, continua Mike, vous m'êtes tout à fait indifférent.

- Je ne peux pas vous en empêcher, déclara-t-elle.

- Est-ce qu'il y a un moyen de sortir d'ici?

- Exactement!! répondit la loutre avant de replonger dans la rivière.

La réplique semblait définitive. Nous avons repris la route.

Il y a quelques dizaines de minutes, une porte qui n'avait pas de bâtiment s'est brutalement dressée devant nous. Un peu plus et j'entendais Also Sprach Zarathustra.

Le soleil se couchait. Je ne sais pourquoi j'ai l'impression que mon horloge interne est déréglée. Depuis le bateau, je ne suis jamais en mesure d'évaluer le temps qui passe sans erreur de taille.

Au fait, non seulement Mike et moi sommes incapables de nous toucher mutuellement, mais nous ne pouvons pas toucher la porte.

Demain, peut-être…

Fin de la journée


20 ans et treize jours

Ce matin, nous nous sommes remis à chercher un moyen d'ouvrir la porte.

Tout en faisant cela, nous n'avons pas remarqué qu'un arbre penchait dangereusement vers nous.

Oui, il est tombé.

Heureusement pour moi, je me suis précipité de côté.

Heureusement pour ce qui va suivre, l'arbre est tombé sur Mike. Je dis heureusement car voyez-vous, puisque nous ne pouvons rien toucher, rien ne peut nous toucher. Mike n'a donc rien senti.

Il est sorti de là, et sans nous en rendre compte, nous avons empoigné la même branche: nous pouvions la toucher! C'était ça! Deux têtes, ou plutôt deux mains valaient mieux qu'une!

À la lumière de cette révélation, nous nous sommes approchés de la porte et avons pris la poignée en même temps. Elle tourna. Nous avons ouvert la porte. Elle donnait sur l'autre côté.

J'ai traversé le cadre… et j'ai perdu connaissance…

Quand je me suis réveillé, j'étais de retour dans la bibliothèque. Seul.

Par un mouvement de panique, je suis sorti parcourir les corridors pour trouver quelqu'un. J'ai trouvé la glissoire… Et puisque j'y étais, je m'y suis laissé glisser de plein gré.

… pour revenir derrière la porte. Mais aucune trace de Mike. Et le soleil qui se couche encore. La panique m'envahit.

J'ai couru le long de la rivière pendant quelques minutes… et je suis retombé sans connaissance. Mais je commence à comprendre pourquoi: ça doit faire bientôt deux jours que je n'ai pas mangé. Je manque d'énergie.

Et je suis seul.

Et j'ai hâte de savoir pourquoi je suis ici.

Et si le But est à l'extérieur de la pyramide, j'ai hâte d'en sortir.

C'est Mike qui a la nourriture.

Pour la première fois depuis le début de cette quête vers l'inconnu, je me couche VRAIMENT seul.

C'est lourd.

Mes forces me quittent.

La simple rédaction de ce journal me semble une tâche insurmontable.

Je me demande si je vais me réveiller demain matin.

Fin d


14 janvier de l'an A

Nouveau jour, même dilemme: la porte.

Nous avons à peu près tout essayé ce qu'il était possible de faire avec une porte… sans succès. À un moment donné, Geausselayn me cria quelque chose à propos d'un arbre et se lança tête première dans un banc de neige. Il m'a ensuite regardé d'un air plutôt perplexe en me disant que je l'avais échappé belle. De quoi parlait-il? Enfin, une grande histoire pour dire seulement qu'à un autre moment donné, on a touché le même glaçon (ce qui, malgré les apparences, est un fait spectaculaire.) Geausselayn et moi pouvions toucher tous les deux à la branche… au glaçon plutôt! Pourquoi ai-je dit branche moi là là? Je n'ai pas très bien compris l'hypothèse que me lança Geausselayn à la suite de cette scène, mais il m'a confirmé que ce n'était pas grave.

En résumé, me voilà devant la porte en train d'essayer de tourner la poignée en même temps que Geausselayn… et ça marche.

J'ai par la suite compris que nous devions être tous deux dans un espace-temps propre à nous-mêmes et que la porte était elle-même dans un autre espace-temps formé de nos deux espaces-temps respectifs. Voilà!

Dans un élan de passion pour cette porte désormais ouverte, nous avons pénétré à l'intérieur (ou serait-ce à l'extérieur?)

J'ai ensuite sombré dans l'inconscience.

Quand je me suis réveillé, j'étais de retour dans la bibliothèque. Seul.

Par un mouvement de panique, je suis sorti parcourir les corridors pour trouver quelqu'un. J'ai trouvé la glissoire… Et puisque j'y étais, je m'y suis laissé glisser de plein gré.

…pour revenir derrière la porte. Mais aucune trace de Geausselayn. Et le soleil qui se couchait encore. La panique m'envahit.

J'ai couru le long de la banquise pendant quelques minutes… et je suis retombé sans connaissance. Mais je commence à comprendre pourquoi: ça doit faire bientôt deux jours que je n'ai pas mangé. Je manque d'énergie.

Et je suis seul.

Et j'ai hâte de savoir pourquoi je suis ici.

Et si le But est à l'extérieur de la pyramide, j'ai hâte d'en sortir.

C'est Geausselayn qui a la nourriture.

Pour la première fois depuis le début de cette quête vers l'inconnu, je me couche VRAIMENT seul.

C'est lourd.

Mes forces me quittent.

La simple rédaction de ce journal me semble une tâche insurmontable.

Je me demande si je vais me réveiller demain matin.

Fin d


15 janvier de l'an A

J'ai faim.

J'ai l'impression d'avoir dormi une semaine… c'est peut-être le cas…

Tout est embrouillé.

Malgré la distance qui nous sépare, la «porte» est là.

Malgré la distance, Geausselayn est là.

Je m'ennuie de Samantha.

Je me motive à marcher… encore.

Plus je marche loin d'elle, plus la porte est derrière moi.

Je ne tente même pas de l'ouvrir, je sais que sans Geausselayn, c'est impossible.

Elle me hante.

De temps à autre, le paysage se transforme en forêt.

Mais c'est en majorité de la glace.

Si au moins Mike était là….

???

Je me retourne et saisis la poignée de mon unique main droite et prie le ciel gris qui est au-dessus de moi de me dire que j'ai raison et j'enfonce la porte…

…Je viens de me réveiller dans la bibliothèque et Geausselayn est étendu à l'autre bout de la salle.

Il y a de la nourriture au centre de celle-ci.

J'ai faim.

Geausselayn et moi pouvons enfin nous toucher.

Notre grande joie disparaît vite à l'idée de la perte des filles. Voilà presque 4 jours (H.N.G.) qu'elles ont disparu.

Je m'ennuie d'elles et à mon grand désespoir, je m'ennuie presque de Caïus.

J'ai hâte de le retrouver pour partir d'ici.

Si notre But était d'être mélangé dans notre tête, ce serait terminé depuis longtemps…


20 ans et quatorze jours

Aujourd'hui, nous n'avons rien fait.

Fin de la journée.

…quoique, curieusement, nous sommes de retour dans la bibliothèque, tous les deux, il y a de la nourriture, et nous pouvons nous toucher…

J'ai lu. De tout et de rien. Surtout de rien. Une journée perdue, quoi.


20 ans et quinze jours

Je me suis levé ce matin avec la ferme impression de ne plus être endormi. Il fallait que je fasse quelque chose.

J'ai décidé que je sortais de la pyramide aujourd'hui. Mike m'a suivi.

Nous avons marché pendant deux heures (pas plus!) et nous avons enfin trouvé la sortie. Il est possible que le hasard nous ait quelque peu aidé là-dessus…

Dehors, les autres étaient encore là à nous attendre.

Nous leur avons raconté comment nous avions perdu la trace des filles. Sir Reiner a immédiatement proposé que toute la troupe reparte avec plus d'équipement pour aller à leur recherche.

Pour ma part, j'avais tout d'abord besoin de me changer les idées. J'ai quitté le groupe pour aller dans la forêt.

Enfin libre, j'ai eu tout à coup envie de me foutre du But. L'immense forêt luxuriante me faisait rêver à une liberté totale et paradisiaque. Après quelques éternelles minutes de contemplation, je suis monté dans un arbre près d'une chute afin de me coucher sur une de ses énormes branches. Le chuchotement de la rivière a fini par m'endormir…

Je ne sais combien de minutes plus tard, un bruit furtif m'a tiré de mon sommeil; un serpent commençait à s'enrouler autour de ma jambe. Avant qu'il n'ait fait deux tours, j'ai secoué mon pied et lui ai fait lâcher prise. Il est tombé au sol.

J'ai dû descendre de l'arbre trop rapidement: le bruit a attiré un sanglier qui se mit à marcher vers moi. J'ai bondi vers un autre arbre et suis monté dedans avant que la bête ne me rejoigne. J'ai décidé que je ressortirais de la forêt par les aires, de branche en branche, d'arbre en arbre.

Mais au sol, le sanglier me suivait.

Approchant de la bordure du boisé, j'ai interpellé mes compagnons afin qu'ils viennent à mon aide. Puis, quand j'ai été incapable de poursuivre par les aires, j'ai brisé une grosse branche que j'ai lancée sur le sanglier. Je suis descendu de l'arbre en moins de deux et me suis mis à courir.

Le sanglier n'est pas resté immobile bien longtemps: à peine avais-je franchi l'orée du bois qu'il se remit de plus belle à me poursuivre.

Mais Caïus Foglia était déjà au rendez-vous, prêt à toute éventualité. La bête n'eut que le temps de sortir de la forêt, il lui lança son pilum en plein thorax. Elle s'écrasa après quelques pas, non sans avoir failli m'écraser.

J'étais quitte pour rester avec le groupe.

Ce soir, nous avons mangé du sanglier.

Je vais me coucher. Les autres sont encore éveillés, mais moi je n'en puis plus. J'ai dans l'idée que je vais très bien dormir.

Fin de la journeé.


   janvier de l'an A

Je ne me rappelle plus de rien.

J'ai été obligé de relire mon propre journal pour savoir ce que j'ai fait hier.

Je ne comprends pas ce que j'ai écrit.

C'est l'effet de la Pyramide, j'en suis sûr maintenant.

Samantha et Thérie me disent qu'elles n'ont pas quitté le bateau.

C'est trop pour ma petite tête.

Je ne suis cependant pas le seul à avoir la vague impression de ne plus être au plus haut de mon biorythme de forme mentale. Geausselayn semble «cocher des flèches» lui aussi. Dans ma logique du moment, j'ai l'impression que c'est le seul fait d'écrire qui nous rend fou (bijoux, cailloux, choux, genoux, hiboux, joujoux, poux) fous.

C'est sûrement pour ça que les autres ne sont pas affectés.

Nous les avons peut-être inventés.

Nous avons levé les voiles à midi.

À notre départ, j'ai regardé la Pyramide qui jusqu'ici m'empêchait de fabuler comme du monde.

Nous naviguions depuis déjà 2 heures quand notre navire croisa un ruisseau coulant à travers la mer. Comme j'avais un creux, Geausselayn me proposa d'aller se pêcher quelque chose au ruisseau en question. Nous avons donc largué les amarres pour s'arrêter mettre l'ancre au large de l'océan et avons nagé jusqu'au ruisseau qui lézardait entre les vagues.

Notre chance était inouïe car en s'y rendant, nous avons rencontré 2 cannes à pêche et leurs canetons qui se joints gracieusement à nous.

Au bout d'un 10 minutes d'attente, la canne de Geausselayn et la mienne nous pêchèrent chacun un magnifique poisson. Le mien était bleuté comme l'ancienne couleur du ciel.

Ce poisson aurait probablement été aussi beau que bon si j'avais eu le cœur à le manger après la révélation que j'ai eue en apercevant un détail du dit poisson.

J'avais enfin compris le but de toute cette histoire.

C'était pourtant si simple.

La queue! La queue de poisson!!

L'heptagone violet


© 1990
Jocelyn Gagnon et Michel Montreuil

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