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Collaboration par courrier électronique
Dernière mise à jour: 31 juillet 2011
Noir = Jocelyn
Bleu = Julie

En attendant d'avoir un titre
par Jocelyn Gagnon et Julie Marchiori
en cours depuis le 30 août 2002

Tirer des conclusions. On lui avait demandé de tirer des conclusions. Tirer des imposteurs, ça, il voulait bien. Mais des conclusions... Ses sophismes à canon intégré ainsi que ses syllogismes calibre deux-et-deux-font-quatre bien appuyés sur sa tempe, il patientait, sachant que les conclusions ne tarderaient pas à lui sauter sur les épaules, impunément. Seul devant sa machine à penser, un sachet de chocolat chaud coulant doucement par intraveineuse dans ses veines, il avait l'imprimable impression que le téléchargement s'était amorcé. À coups de jets d'encre, de zébrures-laser et de graffitis-mémoire, l'ennemi à abattre se traçait sur la peau de son crâne. Il ne lui fallut que quelques nanosecondes pour constater la vanité de son entreprise: bien que la conclusion se tirait progressivement d'elle-même comme les dessins de points à relier de son enfance moëlleuse, il était certain qu'elle n'aurait pas la finalité gracieuse d'une découverte paratemporelle.

Malgré l'ampleur du projet, il n'arrivait, au terme de ses cogitations, qu'à des réponses désarmantes de naïveté. Se pouvait-il que tout soit si simple? Son chocolat était, depuis longtemps, terminé. 

C'est alors qu'un brin de soleil vint caresser bien platoniquement le sachet de chocolat vide, et il put contempler dans toute sa splendeur la décomposition lumineuse de l'univers à l'oeuvre dans un environnement complètement artificiel. «Epiphanie», murmura-t-il. Un monteur nouvelle vague prit soudain contrôle de la réalité l'entourant. En plans rapprochés, il aperçut le syllogisme pondant son haïku conclusif, le sophisme canonnant le sachet, la zébrure cranienne s'ouvrant sur le faisceau des possibles. La machine à penser pixelisa le tout. Fondu au noir immédiat.

C'est avec une extrême fierté qu'il présenta ses conclusions au comité. Le Président jeta un coup d'oeil au document, écarquilla les yeux, parcourut l'assemblée d'un regard hébété, et laissa tomber un «bravo» qui tenait davantage de la défaite que du plaisir, comme s'il était déçu d'avoir devant lui des mots si bien étendus. L'assemblée, silencieuse, se pendait (sans vertige ni vergogne) à la moue du Président, ne sachant si elle devait clamer victoire ou capitulation. Absorbée par l'attitude mi figue mi jus de raisin du Chef Législateur, la foule n'avait tout juste pas remarqué le mot «bravo» qui, tombé, s'était fracturé le «O» de façon commotionnelle mais non cérébrale. Ce silence troubla profondément notre protagoniste, incertain de son avenir après une réaction en apparence si mitigée. Lui qui avait attendu ce moment conclusif avec une appréhension teintée d'un pourpre échimose n'espérait plus qu'une simple accolade de la part de ses pairs, et voilà qu'on lui refusait le droit d'être en extase ou en profonde et soudaine dépression. Et il craignait de secouer la foule avec un «Dites quelque chose!» retentissant, se disant que l'assemblée, dans un tel état, allait mourir sur place, réveillée de sa stupeur par sa voix de stentor.

Il se vit donc dans l’obligation d’adopter une attitude stoïque convenant tant au désastre qu’à la consécration, attitude qu’il fit d’ailleurs breveter quelque temps après cette histoire. Chaque individu de l’assemblée, se sentant alors persuadé de sa propre incapacité à comprendre, se mit en devoir de copier la contenance du protagoniste, question de ne pas perdre la face devant une foule si éminente.

La scène dura trente longues secondes d'un silence violemment embarassant. Personne ne s'apercevait que personne ne comprenait vraiment ce qui se passait, et comme chaque fois où se perd le sens, l’émeute éclata. Avec le recul que lui permettait la tribune, X ne put que constater l’exactitude des conclusions tirées. Son document venait tout juste d’annoncer au comité le carnage imminent de l’Assemblée.


(la suite ici, bientôt, au fur et à mesure…)

© 2002-2011
Jocelyn Gagnon et Julie Marchiori


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