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Collaboration par courrier électronique
Noir = Jocelyn
Bleu = Philippe

Mort d'un moron notoire
par Jocelyn Gagnon et Philippe Reid
du 6 novembre 2001 au 10 février 2005

Les cendres encore orangées semblaient vouloir communiquer au ciel les événements de la veille et lui divulguer les faits authentiques. La lune était morte. Pleine, mais tout à fait morte et blême.

Quant à moi, je décidai de passer sous silence tout ce que Lara m'avait dit la veille. Son auto, sa guitare et ses seins resteraient à jamais gravés dans ma mémoire et dans les sillons de la peau du bout de mes doigts. La vie ne serait plus la même du fait que les choses avaient déjà commencé à cesser de cesser. Il y avait donc de l'espoir et beaucoup d'envie. J'allai donc pressément m'en soulager.

Une fois dépissé, mon air de dire se dit qu'il valait mieux ne pas voir ce que mes yeux me disaient voir. J'étais tout de même déculotté non seulement par ce que je voyais, mais aussi par ma distraction chronique aigüe. La caméra roulait encore et me regardait de son œil rouge et constant. D'un geste très prudent, je fis vite de remonter ma salopette et de fuir vers un endroit plus dangereux… celui qui m'attendait au bas de la pente. Celui qui m'effrayait autant qu'il m'attirait par sa gigantesque présence d'une couleur qui rappelle le froid et d'une froideur qui en rappelle la couleur.

Bien que prudent, sage, sens de l'humour, six pieds trois, poids proportionnel, but sérieux et air moqueur, je marchais d'un pas à la fois vers cette véritable et authentique fin du monde et contre la montre. J'étais parvenu à cet état d'esprit avec un grand effort de dévidage cérébral, technique apprise il y a de cela un ou deux lustres dans un temple tibétain pas loin du boulevard Métropolitain (celui appartenant à la micro-communauté Titropobétaine). Lorsque cela fonctionnait, c'était comme si je flottais au fond d'un lac, une ancre attachée après ma ceinture et une bouée accrochée après mon mollet droit.

Mais je ne pouvais m'empêcher de penser à Lara. Quelle femme! Dire que si j'étais né rutabaga, je n'aurais jamais entendu parler d'elle. Je n'aurais jamais rien entendu, de toute facon. Aucun rutabaga n'a jamais eu la réputation d'avoir l'oreille musicale, encore moins le sens de l'orientation. C'est ce qui me consolait. Je préférais penser à Lara que de m'imaginer dans un jardin, entouré de topinambours bourrés d'inuline jusque dans les racines.

Distrait une fois de plus, je jettai un nouveau coup d'œil vers le bas de la pente. Il y avait un je-ne-sais-quoi de gossant qui me flottait dans l'œil droit. Parfois, ça partait et ça revenait dans mon autre œil, le croche. Cette poussière de gosse (par assomption) provenait probablement de cette présence masculine qui dégageait à présent des grognements et des odeurs de vanille.

Vanil! Je l'avais trouvé! J'avais finalement pu mettre le doigt de la main croche sur le nom de cet affreux avocat de formation faisant du porte-à-porte et qui tentait depuis quelques jours de monter le chemin qui menait au chalet… j'avais enduit le chemin de morvosités glissantes la semaine d'avant, l'empêchant de peigner sa coiffure défaite par tous ceux qui glissaient vers le bas de la pente.

Vanil Énoizett, cet avocat du diable (qui lui devait d'ailleurs d'énormes sommes d'argent pour services impayés) ne savait pas écrire. Cette condition l'avait forcé à abandonner le droit et à vendre des crayons et des briquets aux habitants de Montagne-Avec-Vue-Sur-Le-Lac, faute d'orthographe.

D'ailleurs, depuis les événements récents, des doutes me hantaient quant à l'origine des flammes qui avaient totalement détruit le chalet. Dès les premières lueurs du feu, j'ai cru qu'il pouvait s'agir en effet du fil de la bouilloire qui avait été rongé par les limaces envahissant feu la demeure.

C'est à ce moment que mon instinct de chasseur ne m'a rien dit. D'ailleurs, je me demande bien ce qui m'a poussé à vous en faire part ici.

La caméra qui me suivait de sa lentille perdit de sa spicacité, tout en se gardant bien de faire fuir Vanil, le principal épais de la région.

Vanil était un touche-à-tout. Il avait d'ailleurs touché avec Lara Fahmal un pare-choc de tracteur à ciment à roues. Jamais Lara ne m'en avait parlé. J'ai pu le deviner rien qu'à l'odeur du poisson frit un vendredi soir où Anita et Augustin avaient dormi dehors après avoir déménagé. D'or en chaises, ils n'avaient jamais eu l'occasion de se faire parler d'eux dans un compte (mes salutations, les mecs!)

Épuisé de ses efforts effrénés, Vanil décida de prendre les marches et de monter me voir.

- Bonne décision, Vanil! Mais dis-donc, quel bon joli vent t'amène et te délaisse ici?

- C'est que, vois-tu, j'ai mangé un coup de vent sur la nuque, et une étrange poussée m'a poussé à faire du pouce jusqu'ici.

- Du pouce? Mais t'habites à 300 mètres d'ici!

Quel moron notoire. Plus j'y pensais, plus c'était lui. Plus j'y pensais, plus c'était lui. Plus j'y pensais, plus c'était LUI.

- C'est TOI! Moron notoire, c'est TOI!

Plus c'était lui, plus j'avais envie de lui payer un vol gratuit vers le bas de la pente. Il aurait mérité de déménager tout seul avec ses meubles sur le dos en écoutant des boys band pop à tue-tête grâce à mon judicieux système de haut-parleurs cachés dans les feuillus. Comme ça, j'aurais pu tranquillement repeindre mon piano rose (je l'avais eu à rabais) avant de me remettre à composer des odes à la beauté de Lara. Non mais quelle femme!

J'avais un peu pitié de lui, cependant. Parfois, lorsque j'étais seul autour d'un verre de Slim-Fast, je pensais à son visage en déconfiture le jour où il avait touché une sculpture guatémaltèque représentant le buste du derrière d'un moustique en rut grossi 962 fois, et je ne pouvais m'empêcher de trouver que, décidément, c'était un moron notoire…

C'est ce moment que je choisis pour lui offrir un peigne. Il faisait vraiment trop pitié, et en plus, il avait trois dents cassées (pas le moron, moron! le peigne!). Il se peignit… pegna… pegnassa… enfin… il se brossa les cheveux avec un peigne et il reçut du même coup sur la tête un colis tombant du ciel et tomba raide sur le sol.

Mort… oui, bel et bien mort (hoooooon! dit la foule). Afin de ne pas courir le risque d'être accusé de sa mort, je lui donnai un petit coup de botte Kodiak entre les dentiers et il se mit à débouler comme un baril plein de mares de puantes (notez que ce passage ne doit pas être lu à voix haute et le plus lentement possible).

Aussitôt le corps du moron mort déboulé au bas de la pente, un policier qui marchait par là brandit sa matraque en me montrant du doigt.

- Le colis! Tu n'as pas encore ouvert le colis!

Il continua sa route comme si il ne m'avait jamais dit: «Le colis! Tu n'as pas encore ouvert le colis!»

Le colis… Ah oui! Le colis! Où était passé ce colis tombé de nulle part? Je n'avais pourtant pas rêvé! Je m'étais bel et bien brossé les dents ce matin-là et pourtant, je ne voyais pas le colis! Il avait disparu!

Je me mis à quatre pattes (ou plutôt à deux mains et deux genoux) et me mis à chercher le colis sans trop faire attention à mon environnement. Et soudain, je me mis à débouler la côte, tout comme l'avait fait le feu moron. Au bas de la pente, j'étais face à face avec feu Vanil, bien mort, le visage mauviasse et un colis collé dans sa chevelure grasse et collante. En m'aidant de mes deux pieds, j'arrachai le colis de l'emprise de ses cheveux.

Sur le colis, un nom tout à fait familier…Gadelgelle Imngrphenlakd. Mais qui était-elle? Que faisait-il? D'où-je sus-vous-ce?

Pour le moment, je préférais laisser ce mystère en mystère car un mystère n'est jamais plus mystérieux que quand il est mystère. Et en plus, je commençais à avoir faim. Faim de savoir ce qu'il y avait dans ce colis meurtrier…

Je me mis à ouvrir la boîte tranquillement…quelque chose semblait vouloir paraître et sembler à l'intérieur. Mais je n'en étais pas certain. Était-ce quelque chose? Probablement. Mais où et donc car ni or?

La face me tomba, comme on dit. Un peu plus, et c'étaient les bras et les jambes. J'aurais eu l'air d'un homme-tronc, ce qui m'aurait bien avancé. Dans la boîte, il y avait une bouche féminine. Pas un bonbon en forme de bouche ou une quelconque imitation surréaliste, mais bien une vraie bouche, avec les lèvres, la langue et tout! Plus étrange encore, la langue bougeait et faisait mine de m'inviter à l'embrasser! Je n'avais jamais encore embrassé une boîte, mais je me rappelais qu'un cousin m'avait dit un jour qu'il avait adoré ça.

Vaguement excité, j'hésitai d'abord à fermer les yeux ou pas avant d'embrasser la boîte. Je décidai de fermer un œil et de laisser l'autre ouvert. Au pire, me disais-je, la boîte penserait que je la draguais… J'entrepris donc de poser mes lèvres sur celles de la boîte, et nos langues se lièrent. Je ne m'étais fait aucune idée non plus de la façon avec laquelle on embrasse une boîte, mais j'étais fasciné: mon corps était traversé par une électricité peu commune, digne des plus lubriques fantasmes d'adolescents qui ne contrôlent pas leurs hormones et qui s'en foutent, d'ailleurs, dans les deux sens du terme, si vous me permettez cette vulgarité… Après 30 secondes, j'étais tellement pris dans ce baiser, seul en bas de la pente, le visage recouvert d'une boîte, que je décidai de m'asseoir parce que c'était trop bon.

Des tas d'images me passaient par l'esprit. J'avais l'impression de connaître cette Gadelgelle Imngrphenlakd depuis toujours, j'aurais voulu me confier à elle, lui raconter mes états d'âme, on aurait pu faire de la balançoire ensemble, du vélo de montagne, des croisières sur la Méditerranée. Mais je ne pouvais me faire à l'idée que nous étions trop différents. Il faudrait vivre notre relation en cachette, loin des regards suspicieux. Qui voudrait croire à une relation entre un homme et une boîte, je vous le demande?

Il fallut bien que ce formidable baiser se termine. Après tant d'émotions, je refermai péniblement la boîte, ne pouvant contenir une larme, et je la déposai par terre. Dans un accès de rage, j'arrachai sa perruque à feu Vanil Énoizett, car tel était son terrible secret, et je la piétinai en criant les ingrédients d'une recette inconnue dans une langue morte, vu l'exercice musculaire du baiser dont j'avais déjà oublié l'effet.

J'étais triste, et je ne pouvais même pas engueuler mon moron d'avocat pour me défouler.

Je me mis alors à fesser dans le ventre sa dépouille à grands coups de pieds, tout en récitant les manipulations de ladite recette. Pris d'un blanc de mémoire, je n'arrivai pas à me rappeler du temps de cuisson, ni du prix d'un blanc d'œuf.

Enfin, en lui regardant la bouche et ses tripes qui en sortaient, j'ai cru que la recette lui levait le cœur... Je partis donc vers la route, ma boîte à bouche sous le bras, en sifflant des airs climatisés.

Sur ma route, je croisai un vendeur de marrons. «Marrons chauds! Marrons chauds! criait-il!» J'éclatai de rire en m'imaginant à sa place en train de crier «Moron Froid! Moron Froid!…» Mon sourire retint son attention puis, la laissa repartir. L'homme dépourvu, découragé, sans espoir, dépressif et sans goût de vivre, partit dans les bois à la recherche de son attention. «Attention? Attention? criait-il à s'arracher les poumons.» La situation, bien que bien triste, était assez loufoque. Bon… il fallait y être. Passons au prochain paragraphe.

Ma boîte se mit tout à coup à crier. «La vache! La vache! La vache est en feu! On n'a pas besoin d'eau, laissons la fourreuse de mères brûler!» (bon, je peux me permettre n'importe quelle sottise, étant donné que très peu de lecteurs prendront la peine de lire cette interminable histoire. Si tel est votre cas, faites-moi signe.) Le vendeur de marrons qui cherchait toujours son attention dans le bois s'écria, bouleversé par ce blasphème: «Ferme ta boîte!». Ce que je fis de si tôt. Depuis, on n'entendit jamais parler du vendeur de marrons. Une rumeur veut que ce soient les ours qui ont trouvé son attention… dans la forêt, on peut d'ailleurs lire sur un écriteau: «Attention aux ours!» (roulement de tambour et coup de cymbale).

De retour à mes idées, ma boîte me dit: «J'ai un message à te faire de la part de Lara».

- Lara? C'est bien vrai, je l'oubliais, elle!

Magnifique femme au cœur humain et aux cheveux de chevelure… Ses yeux qui regardent et sa bouche qui goûte ne sont jamais sortis de ma mémoire.

- Boîte, dis-moi ce qu'elle t'a dit de lui dire de te dire de me dire!

- Mais avant, dit la boîte, je veux t'embrasser encore. Tu embrasses bien, je trouve, comme une star de cinéma qui fait semblant, mais en vrai.

J'étais officiellement flatté, mais je n'allais pas me laisser distraire par un vil compliment, oh non! Elle allait s'ouvrir la boîte, j'en aurais mis ma main dans un pot de yogourt périmé, ou dans la bouche d'un hippopotame de cirque maquillé en schtroumpf obèse.

Mais il fallait jouer son jeu, alors je posai mes lèvres sur les siennes, et bientôt, nos lèvres cédèrent le passage à nos langues, dans un mouvement encore plus érotique, c'est le mot, que lors de notre premier baiser. Mais qu'avait-elle donc de si fascinante lorsqu'elle embrassait pour que j'en oublie qu'elle était faite en bois d'érable de fort mauvaise qualité? J'en avais la peau à fleur de peau, mon sang s'immiscait dans certaines extrémités bien tendres de mon corps de héros célibataire amateur de portos tawny, de fromage à pâte molle et de soirées blottis bien au chaud devant un foyer d'incendie contrôlé par un pyromane sur les anti-dépresseurs. À côté de cette boîte, Lara embrassait comme un tapis de bureau commercial plein de neige sale. J'étais fort troublé par cette passion naissante avec un petit paquet de planches mal vernies.

Le baiser finit par finir, même si je ne voulais pas. Je souffrais déjà de ne plus toucher ses lèvres dès qu'elles s'éloignèrent des miennes. Mais un soupçon de bon sens me rappela à l'ordre, il fallait que je sache ce que Lara voulait me dire.

Je reculai la tête, et regardai la boîte droit dans les dents.

- Alors? dis-je.

- Elle te voit voir.

- Me voit voir-t-elle tu?

- Pas exactement mais...

- Mais quoi?

- Mais rien.

- Mais rien quoi?

- Embrasse-moi encore, me dit-elle...

(je résiste ici à la tentation de vous raconter ce qui s'est passé quand j'ai ouvert ma braguette et qu'elle ma sucé l'organe comme une vrai actrice porno jusqu'à ce que je lui beurre le visage de la salive de ma prostate. Non, je ne vous le dirai pas étant donné que ce serait un peu vulgaire et j'aurai à écrire "sucé l'organe" et je ne ferais jamais quelque chose du genre sur le web). Je poursuivis l'interrogatoire:

- Elle me voit voir? Mais comment?

- La caméra, Jablon, la caméra!

Mais OUI! C'était ÇA!!! Ça me revenait soudainement! Je m'appelais Jablon! Ça expliquait maintenant le feu au chalet!!! Comment avais-je pu oublier... mon propre nom! C'était probablement ce que Vanil était venu pour m'annoncer... pauvre lui. La boîte à bouche tenait absolument à me le dire en premier alors elle avait neutralisé Vanil... Tout était clair maintenant. Pauve Vanil... j'eus soudainement une pensée... ou était-ce plutôt un pissenlit? Et la caméra... celle qui m'épiait pissant pissou dans les bois. Lara. La belle Lara. Elle avait pu ainsi me voir voir la vue de son oeil électronique! Elle m'épiait comme on épie un blé d'inde. Ça ce pouvait-tusse. J'arrivais pas à en revenir (faut dire que la dernière fois était encore toute récente) Wow. Capoté. Ouan... pas mal cool ça... euh... bon.. oui... euh... mon texte... où est mon texte... Louis! Je cherche mon texte... l'aurais-tu vu par hasard? Ah, tiens le voilà!

Les cendres encore orangées... non... ça c'est le début...

euh...Fin? Louis, es-tu certain qu'y manque pas des pages, me semble que ça finit raide... j'veux dire, on sait même pas c'était quoi l'adresse du chalet! Oui? C'est vraiment tout? Bon ben tant pis...

Si je peux me permettre, la morale de cette histoire, c'est qu'on n'est jamais aussi bien vu que par sa mère, surtout dans les moments les plus chéris du doute des transaction volubiles passagères des outres finis en situation de charismatique potion d'ouvrages relus dont la plume se bourre des esprits du néant. Bon, c'est un peu simpliste, mais c'est ça!

Restez à l'écoute pour le tome II: «La vie d'un vieux viscéral (et autres macarons)».


© 2001, 2002, 2005
Jocelyn Gagnon et Philippe Reid


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