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Collaboration par courrier électronique
Noir = Jocelyn
Bleu = Jean-Claude

L'affaire des micros dans les dents
par Jocelyn Gagnon et Jean-Claude Gagnon (c'est mon papa!)
du 1er octobre au 24 décembre 2001

«Surprise!»

Le Président resta figé un instant en voyant tous ces gens qui étaient plantés là à le regarder, un sourire un peu artificiel sur le visage. Il s'était bien douté de quelque chose, mais il se demandait si cette attention particulière dont il était l'objet était due à ce que les gens savaient qu'il s'était fait placer des micros dans les dents. Peut-être cela se voyait-il après tout !

«Merci, merci! dit-il avec un grand sourire légèrement paternaliste qui pourtant ne laissait poindre aucun micro.  Si je m'attendais à ça!»

Dans la salle de contrôle, son discours était automatiquement enregistré pour permettre à chaque estivant des Iles du Sud d'être au parfum de chacune des interventions qu'il faisait à la Nation. Pourtant, une étrange mélopée l'habitait à chaque discours, un peu comme si la lourdeur de sa fonction l'entraînait dans une nuée diaphane et glauque aux notes d'espérance jouées et rejouées jusqu'au matin ensoleillé et blafard.  Seuls ses proches devinaient derrière ses paupières tombantes qu'il mourait d'envie de raconter une bonne blague pour détendre l'atmosphère si rigide exigée par le protocole rattaché à sa tâche.


*      *      *

Un de ses amis d'enfance, qu'il avait intégré à son cabinet sitôt élu, se rappelait d'ailleurs qu'un jour, il avait été pris d'un fou rire communicatif à la seule pensée - qu'il avait d'ailleurs communiquée à son entourage - de la possibilité d'avoir à son insu des micros dans les dents. Pris de panique et voulant empêcher le Président de dévoiler, dans une salle où il se croyait à l'abri d'écoute indiscrète, un possible secret militaire, l'ami fonça alors sur les rideaux et fit semblant de distinguer un nid de guêpes derrière, question de détourner l'attention de la salle. Mal lui en prit : ses gestes brusques, malgré son grade élevé, lui valurent l'attention toute particulière des gardes du corps du Président qui foncèrent sur lui, arrachèrent les rideaux, et stoppèrent net la conférence par leur brusquerie proverbiale.

L'attaché de presse, voyant cela, remarqua l'auteur de ce cafouillage et, après un instant, se remémora l'homme alors qu'il était étudiant. Il ne l'avait pas vu depuis l'université et se souvint tout à coup qu'il était justement un ami d'enfance du Président. «Pourquoi diable a-t-il couru se jeter dans les rideaux ?», se demanda-t-il. Mais aussitôt que les gardes le relâchèrent, il se mit à penser que ce gars avait souvent dit avoir des micros dans les dents. L'incident était d'autant plus troublant que le matin même, il avait surpris son jeune bambin dans son lit, en train d'imiter le Président, le bras d'un de ses toutous dans la bouche, lequel bras, dans cette position, ressemblait étrangement à un micro en peluche. Il n'en fallut pas plus pour que l'attaché de presse croie à une conspiration entre le Président, ses amis d'enfance et son jeune bambin.

Dans le brouhaha de la conférence interrompue, certaines personnes qui se trouvaient près du Président l'entendirent déclarer : «Je voudrais revoir la mer.» Or, c'était fort surprenant de la part du Président qui avait toujours semblé ennuyé par les balades à la plage. Pour la plupart, une seule explication s'imposait : par un appel crypté, le Président demandait à voir Michel Rivard ! Le Secrétaire à la Défense envoya donc le message à son armée que l'on prépare un jet spécial pour aller chercher le chanteur québécois dans sa banlieue et qu'on le ramène illico. On suggéra de demander au pilote sur le chemin du retour de faire des trous dans les nuages lorsque le chanteur serait à bord du jet, question de ne pas le dépayser. Aussitôt dit, aussitôt fait. Quelques heures plus tard, volant vers la maison présidentielle, le chanteur, toujours québécois, regarda par le hublot juste assez vite pour se rendre compte que des F-18 déchiraient les nuages devant son avion. Il comprit rapidement que le manège lui était destiné. Pris d'un fou rire, complètement ahuri, il se leva et dansa dans l'allée une sorte de valse d'idiot. Les membres de l'équipage lui intimèrent l'ordre de s'asseoir à cause de la turbulence. Au même moment, le Président communiquait avec le commandant de bord et ce qui ressemblait à un OVNI longeait l'appareil en dessinant dans les nuages les mots Le cœur de ma vie.

Craignant que soit découverte la conspiration maintenant évidente qui reliait le gouvernement aux extra-terrestres, les conseillers du Président décidèrent de détourner l'attention du public américain en faisant de Michel Rivard une vedette d'un nouveau genre de musique qui engendra une toute nouvelle école de pensée: la OOTW Techno (pour Out Of This World Techno). Ils forcèrent Michel Rivard à se lier d'amitié avec les extra-terrestres qui apprirent à jouer des synthétiseurs. Leur allure étrange passa pour un costume et poussa des tas d'artistes à les imiter.

Les mots de la chanson Le cœur de ma vie tombèrent un à un du ciel en autant de fragments de nuages qu'il y avait de lampes au néon sur Trafalgar Square. Parce que c'est là que s'éveilla Rivard ! Il chercha aussitôt à revenir chez lui et demandait aux passants comment il pourrait se procurer les billets d'avion nécessaires lorsqu'il rencontra un être étrange qui lui dit : «Michel Rivard, je suis tiré de ton nom !» «Quoi?», lui répliqua Rivard ahuri. «Je me nomme Raël, je suis tiré de ton nom.», lui dit l'homme, barbu comme il se devait de l'être dans une telle circonstance.

Rivard s'arrêta, pensif, et jongla comme lui seul savait le faire avec les mots dans sa tête. De peur de faire s'effondrer la conspiration à laquelle il prenait part contre son gré, mais au risque de sa vie, il fit mine de trouver son interlocuteur intéressant et répondit : «Cela tombe à point : je suis attiré par ton nom.»

«N'empêche! lui dit l'autre. Tu te retrouves sur Trafalgar Square, invité par le Président à le rejoindre d'urgence pour résoudre une énigme, et tu ne peux même pas te sortir d'ici!… Mais une partie de ta solution réside dans ta remarque. C'est en effet vrai que tu es attiré par mon nom.»

Rivard sortit alors une petite manette que ses nouveaux amis extra-terrestres lui avaient donnée, et après avoir appuyé sur un petit bouton bleu, observa avec un sourire narquois la barbe de Raël, laquelle disparut en quelques instants, de même que ses cheveux.

«Voilà! dit-il. Tu n'es plus Raël, tu es maintenant Samson, et je vais te chanter une samson.

Siffle-la notre samson d'amour
Notre samson d'amour
Elle te fera chanter
Chanter l'amour et l'amitié
»

Le nouvellement renommé Samson observa la scène, bouche bée. «Beau dommage ! s'exclama-t-il comme s'il avait voulu dire «Bon débarras». J'ai le cœur sur la corde raide, continua-t-il, lassé. C'est un mur ! Heureusement qu'il y a la nuit ! Avec ton sourire de chien, tu peux dormir ! Le vent du fleuve est toujours vivant.»

«Mais quel langage sibyllin! lança Rivard.»

«C'est que le vent du fleuve souffle entre le Chinatown et le cinéma, répliqua le renommé Samson.»

Rivard regarda le petit homme s'engouffrer dans le métro, hagard, parlant de la paix. Un peu comme pour se ressaisir, il se dit : «Ce n'est seulement qu'une aventure!» Mais au moment de disparaître, l'autre se retourna, à 17 heures pile, passager de l'heure de pointe, et s'écria : «Rendez-vous au Café Rimbaud».


*      *      *

C'est à tout cela que l'ami du Président pensait lorsque le gâteau arriva enfin, détendant tout naturellement l'atmosphère sans que le Président n'ait à raconter de bonne blague.

Il s'en était passé des choses depuis cette abracadabrante histoire avec Michel Rivard. Depuis, il n'avait plus à cacher qu'il avait des micros dans les dents, puisque c'était devenu une histoire de sécurité nationale et que la population voyait d'un bon œil qu'on puisse entendre tout ce qu'il disait en direct sur un site web.

Quelques minutes après avoir commencé à déguster ce gâteau présidentiel au goût très subtil de cigare, le secrétaire personnel du Président vint lui chuchoter à l'oreille qu'un appel urgent lui était destiné et qu'il devait de toute urgence aller y répondre dans la pièce voisine. Le Président se leva et d'un sourire aux invités s'avança vers la pièce voisine.

Toujours attablé, son voisin demanda au secrétaire : «Il a ri?» «Non, répondit le secrétaire. Hillary!» Or le voisin en question était attaché au Protocole et savait que ce ne pouvait être Elle, puisqu'il venait de lui parler quelques minutes auparavant alors qu'elle montait à bord d'un avion. Il crut nécessaire d'en aviser le Président, mais en se levant, il tira avec lui la nappe présidentielle qu'il avait accroché à sa ceinture pour faire tablier… Du coup, toute la salle se retourna et il eut l'air d'un idiot. «Attachez-le, quelqu'un!» dit un anonyme qui était là parce qu'il connaissait une stagiaire à la Maison Blanche. «Attacher l'attaché?» demanda son voisin de table.

Et comment qu'il fallait l'attacher! Et juste en s'exécutant, le brave qui s'y essaya fit entendre une sonnerie persistante qui envahit toute la pièce au point où, n'y comprenant plus rien, le Président qui était toujours au téléphone s'éveilla et, constatant qu'il était dans une chambre fort ordinaire, comprit que c'était son réveille-matin qui lui rappelait… qu'il n'était pas Président et que dans 45 minutes il devait être au boulot à l'usine du coin, le temps d'enfiler ses habits de mécanicien.

Frustré par cette situation, il se leva tout penaud en écoutant la radio. La veille, le vrai Président avait annoncé à la Nation qu'il lançait une campagne de sensibilisation au problème de la paix dans le monde du baseball majeur. Enfin quelqu'un qui s'occupait des vrais problèmes! Voilà une journée qui commençait du bon pied malgré tout!

À l'usine, tous ses collègues étaient emballés par la déclaration du Président. Même que son contremaître, qui n'était pas de nature à fraterniser, avait arrêté la production quelques instants, le sourire aux lèvres, le temps de dire: «Il y a probablement quelqu'un ici qui a un micro dans les dents. C'est inutile de le cacher, la réverbération du son sur les murs vous trahit!»

Tout le monde a bien ri, croyant que le contremaitre voulait blaguer. Car, justement, on imaginait facilement que le Président aurait aimé faire une bonne blague avant que de déguster le gâteau présidentiel…


*      *      *

La scène était toute fraîche dans l'esprit des travailleurs de l'usine qui avaient reçu la visite du Président le mois précédent, autour d'un gâteau en forme d'usine, au glaçage vaguement huileux. Le Président, une fourchette pleine de gâteau dans les mains, avait alors raconté l'histoire suivante: «C'est un démocrate, un républicain et un éléphant qui entrent dans un bar. Le barman dit: "Les démocrates ne sont pas admis ici." Ha ha ha!!!»

Devant cette facétie d'une subtilité douteuse, les employés s'étaient dit que dans la salle de contrôle, son discours était automatiquement enregistré pour permettre à chaque estivant des Îles du Sud d'être au parfum de chacune des interventions qu'il faisait à la Nation, ou dans une simple usine. Pourtant, une étrange mélopée semblait l'habiter, un peu comme si la lourdeur de sa fonction l'entraînait dans une nuée diaphane et glauque aux notes d'espérance jouées et rejouées jusqu'au matin ensoleillé et blafard. D'ailleurs, seuls ses proches devinaient derrière ses paupières tombantes qu'il avait été mort d'envie de raconter une bonne blague pour détendre l'atmosphère si rigide exigée par le protocole rattaché à sa tâche.

Ce jour-là, notre respectable héros s'était juré qu'il ne remettrait plus jamais les pieds dans cette usine. Bien évidemment, le lendemain matin, il était revenu. C'est une chose de reprocher à son Président d'être peu conséquent avec ses vues sur le baseball majeur et les micros, qu'ils soient cachés dans un gâteau ou dans des dents, c'en est une autre d'être anti-patriotique au point de vouloir quitter son emploi et vivre au pain sec, à l'eau et aux ouvrages sur la philosophie du moteur automobile russe. Mais là n'était pas la question. Il s'ennuyait de son rêve. La sensation d'être Président lui avait flatté l'égo toute la journée, et il était bien décidé à revoir la mer. Or, c'était fort surprenant de sa part, lui qui avait toujours semblé ennuyé par les balades à la plage. Mais il le dit haut et fort. Pour la plupart, une seule explication s'imposait : par un appel crypté, il demandait à voir Michel Rivard ! Le contremaître envoya donc le message à l'armée demandant -- évidemment fort poliment et sur le ton d'une supplique -- que l'on veuille bien aller chercher le chanteur québécois dans sa banlieue et qu'on le ramène illico. Il suggéra de demander au pilote sur le point de partir d’aller acheter un disque de Nathalie Simard et trois beignes aux fraises. Insulté, le militaire, refusa de décoller. Du coup, Michel Rivard ne sut même pas qu’un modeste ouvrier américan qui rêvait de l’entendre chanter avait créer tout un émoi, d’abord dans son rêve, puis dans la réalité.

Ce brouhaha fut stoppé net par l’annonce d’une bombe aérosol en spécial à l’achat de deux boîtes de chocolat à la truite et au gouda.

Et comme aurait dit Mélanie : «Le fruit pelliculaire de cette distorsion faciale faisait la deux du Cas fouilleur, permettant aux faims et aux fous de scandaler allégrettement.» Quant à savoir ce que ça à voir avec notre affaire, il y a un pas que peu se trouvent prêts à franchir.


*      *      *

Mais c'est tout de même pour ça que le Président se surprit à penser qu'il avait rêvé un bon moment avoir été simple manoeuvre dans une usine.

Il se surprit à reposer sur son socle le récepteur du téléphone, envahi par le souvenir vague de ce rêve dans une usine pendant qu'il téléphonait, mais à qui ? Pendant qu'il essayait de se remémorer, il entendait dans la pièce voisine : «Mais oui, attachez-le, même si c'est l'attaché!»

Comme certains l'ont dit en 1993 : c'était une «quatre à stophe». Cette année-là, on avait tellement dit de choses que le Président avait voulu bannir la parole et remplacer la bouche des citoyens par un tableau de Van Gogh brûlé. Le Sénat avait voté pour. L'année suivante, on commençait à obliger les gens à subir une chirurgie payée par l'État, et tous les habitants s'étaient vu greffer un tableau à la place de la bouche. Les militaires avaient eu beaucoup de mal à se faire respecter dans les pays où ils allaient faire des missions, parce que les peuples qui les accueillaient trouvaient que pour se faire remarquer, ils y allaient un peu fort. On avait découvert par ailleurs qu'il suffisait de lancer du fromage bleu au visage des gens pour que le tableau disparaisse et que le bouche retrouve sa place, éjectant la greffe comme une vulgaire miette de pain. Véritable déconfiture patachimique, comme disait l'autre, et sans plagier. Mais le problème restait entier : Le Président avait des micros dans les dents. Or, la nuit était étrangement belle, la pluie ruissellait sur son visage. Il sortit dehors, enjamba une flaque d'eau, un reflet attira son attention. «Tiens, je la connais celle-là. Je regarde ce visage familier sans pouvoir lui donner un nom.» Il se retourna: «Personne, je suis seul dans ce désert urbain. Ah! si seulement, elle pouvait se montrer.» se disait-il en songeant à Céline Gaudron qu'il avait pourtant à peine connu…

C'est à ce moment que la cavalerie arriva, arma son arsenal de toutous roses, chanta la Marseillaise en hindi, et alla se coucher. Mais la femme du Président n'avait pas dit son dernier mot. Elle se leva, exécuta quelques pas de tango dans le vide, et se rassit. Le ton était donné, les invités se mirent à exécuter une oeuvre musicale avec leur assiette en la lançant dans les airs, en criant "Hé" et en frappant des mains avant de rattraper l'assiette avec leurs dents.

Or, il faut se souvenir non seulement que le Président avait des micros dans les dents, mais que les ramifications de cette conspiration étaient épouvantables, comme le suggère le titre de cette nouvelle. Car il y avait bien eu conspiration. Et cette conspiration n'avait d'autre but que le relâchement protocolaire pour mieux infiltrer la Maison Blanche mais avec quoi?

On a déjà dit plus haut que : "Le Président se leva et d'un sourire aux invités s'avança vers la pièce voisine." Ce sourire aux invités aurait pu aussi bien être aux asperges ou au topinambour, mais les tomates étaient habituellement préférées dans ce genre d'affaires puisque des grandes familles italiennes s'étaient infiltrées au gouvernement, mine de rien, et qu'elles avaient importé les produits de leur pays d'origine à la pelle, et en particulier, bien évidemment, des tomates.

Tout d'un coup, le Président comprit: la vraie conspiration venait de la cuisine. C'était donc ça! Oui, tout devenait clair: les extra-terrestres, Michel Rivard, le rêve de l'usine, les tableaux de Van Gogh brûlés, sa femme qui danse le tango dans le vide et les toutous roses de la cavalerie, tout ceci n'était que le résultat d'une tentative d'assassinat en règle orchestrée sans nul doute par le nouveau chef cuisinier, Paolo Macartoni, un sicilien, fan des Beatles, recyclé en fine cuisine lorsque son groupe fétiche s'était séparé. Son chef avait très certainement assaisonné ses plats de champignons douteux qui le faisaient halluciner depuis des jours, dans le but certain de lui faire faire une gaffe monumentale, comme s'il n'en faisait déjà pas assez comme ça, et de le faire haïr par quelqu'un de plus instable que lui, au point où il finirait ses jours plus tôt que prévu.

Cette révélation eut un effet très grave sur le Président, qui décida qu'il s'était laissé aller et qu'il allait se prendre en main. Il délaissa sa fête d'anniversaire et courut signer un texte qu'il allait lire à la Nation le soir-même. C'était une déclaration de guerre contre la fine cuisine.

Depuis ce jour, même si c'est très difficile à imaginer, la nourriture américaine est encore pire qu'elle ne l'a jamais été auparavant.

FIN


© 2001
Jocelyn Gagnon et Jean-Claude Gagnon

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