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Collaboration par courrier électronique
Dernière mise à jour: vendredi 21 septembre 2001
Noir = Jocelyn
Bleu = Martine

Le Cirque de Khan Rabat
par Jocelyn Gagnon et Martine Gingras
en cours depuis le 21 août 2001

Haaan! Sueur, sueur, sueur, sueur. Pof! Poussière. Coup d'oeil dans la salle: non, rien. Hmmmph! Sueur, sueur, sueur, sueur. Pof! Poussière. Applaudissements. Coup d'oeil à travers le rideau: toujours rien. Lumières. Salutations. Coup d'oeil dans la salle: vraiment rien. Fade out. Elle n'était pas là, ce soir. Ce soir comme tous les autres soirs avant, en fait. Ou presque. Sauf le premier. Elle était au premier. Lumières. Salutations. Fade out. Mais depuis: rien. Lumières.

Rien ne vaudra jamais plus la lumière du premier soir. Était-ce le trac? Une surcharge électrique au moment du dernier salut? Le responsable du projecteur de poursuite qui jouait des tours? Elle? Depuis ce soir-là, la piste a des allures de crêpe de sarrazin séchée, et les numéros du grand Khan Rabat sont de moins en moins sensationnels.

Froide lumière de néons. Mouvements secs et nerveux, qui arrachent les faux-cils, démaquillent le visage, dénudent le corps. Douche froide comme les néons. À la manière du public d'il y a quelques heures, il sort précipitamment par la grande porte de toile repliée du chapiteau. Dehors, ciel gris, douche froide encore, mais pas comme les néons. Comme la douche. Décidément, les beaux jours sont loin derrière.

Comme s'il voulait déjouer le temps, il marche. Ou plutôt recule. Il marche à reculons, malgré l'heure tardive et la pluie.

Machinalement, il répète son numéro de demain dans son esprit, durant les quinze minutes que lui prend le retour à sa cabane. Avec les jours, il parsème inconsciemment ces images de mouvements de colère de plus en plus perceptibles: il s’imagine en train de saisir Patapouf l’éléphant par la patte gauche de derrière en le balançant vers la foule dans un fracas meurtrier; il se voit arracher le mât central du chapiteau et tournoyer sur la piste en arrachant les autres poteaux en passant. Depuis quelque temps, il s’est bien aperçu de l’apparition de ces sombres pensées, et se demande quoi en penser, justement.

Et soudain, BANG! Son dos percute fortement un obstacle surgi de nulle part au millieu de la route, et que l'obscurité nocturne ne lui permet pas d'identifier. D'un bond, il fait volte-face et tâtonne (c'est comme du cuir), lèche (ça a l'amertume de la sueur), hume (ça sent… bon sang! ça sent l'éléphant!) Patapouf. C'est Patapouf qui se tient fièrement dressé en travers de la route. Et d'après son souffle rauque et saccadé, il n'est pas d'excellente humeur.

Au fur et à mesure que ses yeux s'habituent à l'obscurité assombrie par le pachyderme, il distingue ses yeux, et il est prétrifié soudainement par un souvenir enfoui dans ses cauchemars. À ses débuts au cirque, il avait fait un horrible rêve qu'il avait vite fait de ranger dans la section «ne plus y penser» de son cerveau, mais qui y avait solidement imprimé une image effroyable et grotesque. Dans ce songe, Patapouf, qu'il connaissait à peine, portait un chapeau pointu sur son front plissé, une énorme moustache aux bouts recroquevillés sous sa trompe, et affichait un rictus diabolique. Ses yeux avaient la froideur de l'inconscience, et son souffle était rauque et saccadé, tout comme en ce moment même. Or, le cauchemar s'était terminé abruptement par un réveil tout en sueurs froides, alors que Patapouf, un ricanement fou à la bouche, avait écrasé l'hôtesse en pleine piste, dans un bruit de cassement d'os à donner des frissons à un ours polaire. Seul devant l'éléphant, à cette heure, et même s'il le connaît bien, le halètement de l'animal ne lui dit rien qui vaille.

(la suite ici, bientôt, au fur et à mesure…)


© 2001
Jocelyn Gagnon et Martine Gingras

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